Le dualisme scolaire contesté par les chrétiens du CEDEC

, par Monique Cabotte-Carillon

L’association du CEDEC (Chrétiens pour une Eglise Dégagée de l’Ecole Confessionnelle) :"L’Eglise catholique de France doit se désengager du « parrainage » de ses écoles confessionnelles [...] Citoyen avant d’être chrétien.[…]

L’association du CEDEC (Chrétiens pour une Eglise Dégagée de l’Ecole Confessionnelle) a, dès sa création en 1983, protesté contre l’émergence d’une concurrence scolaire qui s’installait à l’époque dans la vallée de l’Indre, près de Tours.
Ce fut là la cause de sa fondation. Une contestation locale par voie de presse n’aurait pu être efficace.

L’Eglise catholique de France doit se désengager du « parrainage » de ses écoles confessionnelles

Des chrétiens (qu’on qualifierait sans doute aujourd’hui de progressistes), parmi lesquels on comptait plusieurs enseignants, se sont regroupés pour fonder une association en bonne et due forme, association que nous avons souhaitée nationale et dont le siège social est à Tours.
Nous demandions donc à l’Eglise catholique de France de se désengager du « parrainage » de ses écoles confessionnelles. Trente-six ans après, le constat est sans appel : échec sur toute la ligne !

Citoyen avant d’être chrétien.

Mais notre vitalité n’a pas sombré et nous avons œuvré, comme bien d’autres, à défendre l’école de la nation, celle où nous aimerions voir les enfants des parents chrétiens, tout au moins des parents qui estiment qu’on est citoyen avant d’être chrétien. Nos motivations se réfèrent surtout à la citoyenneté. Elles sont aussi d’ordre théologique (ainsi, nous n’avons jamais lu dans l’Evangile, texte fondateur, que ceux qui étaient appelés disciples devaient vivre à l’écart des autres personnes de la société), mais je n’ai pas à exposer ici cet autre pan de notre cheminement.

Témoigner de notre regard porté sur la concurrence scolaire.

Il est évident que nous ne pouvions faire l’économie d’un engagement réflexif et factuel en faveur de la laïcité, d’une laïcité sans adjectif et universaliste. Cet engagement s’est effectué à travers des courriers, des colloques, des échanges amicaux avec des associations aux objectifs similaires, et même un livre qui s’insère dans la collection « Débats laïques » placée sous la responsabilité de Gérard Delfau. Internet est devenu l’Orient-Express des échanges... et des trouvailles dont je me servirai aujourd’hui pour témoigner de notre regard porté sur ce boulet qu’est la concurrence scolaire.

Avant de préciser nos motivations et nos positions, je souhaite faire une incise : ayant enseigné dix ans en Vendée, je sais d’expérience ce que recouvre, en particulier sur le plan sociétal, l’expression « concurrence scolaire » ; l’expression donne des boutons à un nombre non négligeable de nos concitoyens « bien élevés » qui préfèrent, sans sourciller, le terme de « complémentarité ».
Si on se situait dans le champ lexical des mathématiques pour présenter, par exemple, les aspects chiffrés du nombre d’établissements ou d’élèves, on pourrait à la rigueur l’accepter, mais c’est ici un abus de langage.

En effet, ceux qui se sont octroyé le label de représentants de l’enseignement catholique français l’utilisent pour signifier que ce dernier assure une partie de la responsabilité nationale concernant l’enseignement et l’éducation.
Quand on est « partenaire » on a voix au chapitre... surtout quand il s’agit de distribution de postes ou de carte scolaire.

Le CEDEC n’a pas toujours la compétence voulue pour intervenir sur ces sujets, mais cela ne nous a pas empêchés d’adresser une lettre ouverte au Président de la République, en avril 2018, pour protester contre le million d’euros octroyé à un établissement privé catholique de Concarneau par le Conseil Régional de Bretagne. Cerise sur le gâteau : il s’agissait d’un investissement foncier. La réponse, tout à fait correcte, nous prévenait que Monsieur Blanquer nous répondrait après avoir fait une enquête. Celle-ci, si toutefois elle existe, doit être toujours en cours.

On est en droit d’être inquiet pour la République.

Je reviens aux motivations des adhérents du CEDEC (une centaine, ce qui nous rend modestes). Par conviction citoyenne, nous rejetons ce cancer mondial qu’est le communautarisme. Avant d’évoquer quelques-unes des conséquences qu’il apporte à la vie scolaire, permettez-moi de faire allusion à la manifestation du 10 novembre dernier.
En principe, il s’agissait de dénoncer les dérives dont sont victimes les Français de confession musulmane. Mais en soulevant la couverture des noms des organisateurs qui se voulaient des « lanceurs d’alertes », on découvre des communautaristes notoires qui appartiennent à la mouvance racialiste, des gens qui font le jeu de l’islamisme radical. On est en droit d’être inquiet pour la République.
Ce n’est là qu’un exemple des dérives qui émergent quand une communauté se présente comme victimaire pour être davantage prise au sérieux dans ses requêtes (ici la suppression de lois honteusement qualifiées de liberticides, alors qu’elles ont, de fait, freiné le prosélytisme).
L’école confessionnelle catholique n’a pas fait mieux quand elle s’est investie contre l’adoption de la loi dite du mariage pour tous.
Comment sauvegarder la liberté d’expression et convaincre que l’élaboration d’une loi (ou sa suppression !) est réservée aux représentants élus pour cela ? Après tout, apprendre à déceler tout lobby s’apprend.

Financement : On aimerait que des contrôles plus rigoureux.

Le financement des contrats d’association par la mise en œuvre de la loi Debré nous coûte cher. Le fameux « caractère propre » est bel et bien la porte ouverte à une démarche d’ordre religieux. Suivant les personnes chargées de la mettre en œuvre, on se trouvera face à un éventail aux nuances les plus variées, allant du rigorisme bon teint (surtout quand il faut assurer les cours d’éducation sexuelle) au respect correct de la liberté de conscience. On aimerait que les contrôles exercés par l’Education nationale soient plus rigoureux.
Mais ce financement de l’enseignement confessionnel peut atterrir dans les poches de communautés religieuses traditionalistes exerçant une empreinte morale indéniable sur les jeunes. Un exemple : le lycée dit « catholique » de Pontlevoy dans le Loir-et-Cher (entre Orléans et Tours) appartient, de fait, à la Communauté Saint Martin, association cléricale néo-traditionaliste. Pour l’Ouest, on la retrouve, si je garde le champ lexical du vocabulaire religieux, dans les diocèses d’Angers, Chartres, Laval et Sées.

Recrutement de familles intégristes.

Or, avec le soutien de l’évêque de Blois, ils ont obtenu un contrat d’association. Nous contribuons donc tous à la vitalité de cet établissement. Leur recrutement est assuré dans des familles intégristes, appartenant sans doute à la droite dure sur le plan politique, pouvant venir de l’Ouest, car il y a un internat de garçons.
Que ne ferait-on pas comme sacrifice financier pour assurer une formation d’élite, ou supposée telle, à ses enfants ? Je ne crois pas, si j’en crois le témoignage d’élèves rencontrés un dimanche soir dans le TER Nantes-Tours, que le nombre d’élèves boursiers y soit très élevé. Je suis convaincue que le pourcentage d’élèves boursiers accueillis dans un établissement est le critère le plus pertinent si on veut montrer que ce dernier n’est pas le reflet de la mixité sociale du lieu.
C’est un critère auquel nous sommes très sensibles, on le trouve d’ailleurs dans le tract présentant le CEDEC.

Statistiques ?

Petite remarque non anodine : je n’arrive pas à trouver d’études statistiques concernant les pourcentages des élèves perturbateurs (les « vrais » et non ceux qu’on qualifie d’agités) dans ces classes de l’enseignement confessionnel où il fait bon travailler dans le calme. On peut se gargariser avec des formules du style : « nous accueillons les plus pauvres » tout en déclarant aux parents que « cet enfant ne correspond pas au profil de la maison ». La répartition des troublions ne peut plus être tributaire du bon vouloir de chefs d’établissements hors-contrôle de l’Etat.

Cet Etat est plein d’attentions pour cet enseignement concurrentiel quand il assure le transfert de 100 à 150 millions d’euros aux écoles maternelles privées (évaluation donnée par le Café pédagogique le 19 septembre dernier), vous ne me ferez pas croire que Monsieur Blanquer ignorait qu’on contribuait ainsi à assurer non seulement la survie, mais aussi le développement du secteur privé confessionnel.

Quittons ces considérations financières pour aborder les motivations éthiques du choix de l’école publique au regard de ce qu’est une nation. Notre devise républicaine fait référence à la fraternité. Bien. Mais la fraternité n’est pas à « enseigner » comme on peut le faire pour découvrir l’importance de l’honnêteté. Elle se vit, elle s’apprend par osmose, par la fréquentation de tous, au-delà des appartenances sociales ou idéologiques des camarades, ceux et celles avec lesquels on tissera des liens d’amitié parce qu’on les apprécie (on leur donne du prix).
Développer l’empathie en faisant abstraction des appartenances familiales ne me semble possible que dans un contexte de laïcité. Oui, nous aimerions que les enfants des chrétiens soient, avec tous, à l’école publique, celle où les liens humains ne sont pas « accrochés » à une idéologie religieuse. Je ferais la même remarque pour une idéologie politique.

Que d’argent récolté... aux dépens des finances publiques.

Pour connaître le fonctionnement et surtout les objectifs de l’enseignement catholique, il est utile d’effectuer une recherche Google à propos de la Fondation Saint Matthieu. Cette fondation fut créée par un décret signé du Premier Ministre, décret publié au Journal Officiel le 18 février 2010. Un point essentiel : elle était d’emblée reconnue d’utilité publique. Que d’argent récolté... aux dépens des finances publiques. Les divers sites des fondations vous expliquent très bien pourquoi : « vous bénéficiez d’une réduction de l’impôt sur le revenu à hauteur de 66% du montant de votre don dans la limite de 20% du revenu net imposable » si vous êtes un particulier. Je passe sous silence ce qui est prévu pour les entreprises ou pour les personnes assujetties à l’impôt sur la fortune.
Autant d’argent en moins pour les caisses de l’Etat ; sans compter qu’on finance ainsi l’école concurrente. Comme les besoins sont grands et qu’on a sans doute de bons consultants, surgissent de nouvelles propositions. Le 3 décembre 2019 est prévue la « journée internationale du don » pour laquelle on reçoit un conseil : « Libérez votre générosité ». Sur le site de la fondation Saint Matthieu ouest on parle du « Giving Tuesday ». On est vraiment dans le vent dans cette région ! Pour attirer l’attention, on trouve sur plusieurs sites des slogans du style « L’école catholique ; nous y croyons. » L’enseignement catholique emploie manifestement des personnels performants en marketing. J’ai dénombré 28 fondations. Même l’ICES de La Roche-sur-Yon a la sienne pour elle toute seule puisqu’elle dépend du Vatican. Son objectif : « former les futurs cadres dont la France a besoin » ; c’est là « un enjeu d’excellence ». La fondation Saint Matthieu Ouest est placée sous la présidence d’honneur de Monseigneur Pierre d’Ornellas. Il veillera sans doute à ce que ses conceptions sur la famille soient bien enseignées.
Ce ne sont pas de telles pratiques que nous sommes prêts à cautionner. Par ailleurs, cette propagande effrénée semble servir de modèle pour les écoles musulmanes. Vient d’avoir lieu à Nice un colloque à leur sujet. Commentaire paru dans La Croix du 8 novembre : « Les participants s’accordent sur une offre nécessaire, répondant à un besoin légitime, malgré quelques situations problématiques ».

Toutes ces stratégies ne favorisent ni la paix civile passant par la cohésion nationale ni le respect de l’idéal laïque fondé sur la liberté de conscience.

Monique Cabotte-Carillon
Vannes, le 21 novembre 2019