Gérard Delfau - Macron et la Lutte contre les Séparatismes

, par Gérard DELFAU

Une avancée qu’il faut concrétiser. En matière de Laïcité, le discours du président Macron aux Mureaux représente une avancée indiscutable par rapport à ses précédentes prises de position. Pour trois raisons, au moins :

1.- Il cible prioritairement « l’islamisme radical ».

Au moment où se déroule le procès des attentats contre Charlie Hebdo, et alors que se répètent les tentatives d’assassinats par des musulmans fanatiques, l’opinion publique ne peut qu’approuver ce choix.
Mais le président de la République ne se borne pas à cet objectif. Le projet de loi qu’il annonce, et dont l’intitulé passe du singulier au pluriel : Lutte contre les Séparatismes, élargit le champ d’intervention à toutes les dérives intégristes, d’où qu’elles viennent. Il reconnaît ainsi que l’islam n’est pas la seule religion susceptible d’affaiblir la République, et, a contrario, que la très grande majorité des citoyens de confession musulmane ont une pratique conforme à nos lois.
Il renoue avec l’esprit de la loi de Séparation, qui visait les « Églises », et non la seule Église catholique.
Il a voulu, d’ailleurs, souligner cette parenté, en précisant que le projet de loi sera inscrit au Conseil des ministres du 9 décembre, à l’occasion du 115e anniversaire de la loi de 1905. C’est plus qu’un acte symbolique ; c’est un fait politique.
En effet, le débat parlementaire est d’entrée de jeu ouvert à toutes les formes de dérives communautaristes, qu’elles soient d’origine religieuse, sectaire, ou philosophique. Il faut souhaiter que se forme une majorité, à l’Assemblée nationale et au Sénat, pour soutenir cette orientation, et éviter les dérapages. De ce point de vue, les députés de La République en Marche ont une responsabilité particulière, et une chance d’entrer dans l’histoire du Parlement.

2.- Ce faisant, le chef de l’État reprend la main, au nom de la Puissance publique,par rapport à des élus locaux parfois trop perméables à la pression d’une fraction de leur population sous influence de l’islam politique.

Et cette réaffirmation que nos lois républicaines s’imposent partout en France était indispensable. Les enjeux sont considérables : la dignité et l’égalité en droits des femmes et des minorités sexuelles, la liberté de changer de religion, et, plus largement, la liberté de conscience pour chaque citoyenne ou citoyen, par-delà l’appartenance familiale ou communautaire. Ce dont il s’agit, c’est le maintien de la paix civile.
Pour atteindre ce but, il propose d’intervenir à quelques moments-clés de la vie sociale : la fréquentation de l’école, qui désormais sera obligatoire, dès l’âge de trois ans, et ne pourra plus être prise en charge par les familles ; une mesure qui vise à tarir le réservoir des structures clandestines, diffusant un « enseignement » de type coranique.
Ensuite, un contrôle plus strict des associations, de leur financement et de leurs activités, avec l’élargissement des motifs de dissolution pour toutes celles qui se révèleraient être des relais d’endoctrinement. S’y ajoute la fin programmée des imams détachés, financés par des pays étrangers, et dont les prêches, généralement en arabe, contreviennent trop souvent à l’article 34 de la loi de 1905, consacré à la Police des cultes.
Enfin, s’attaquant au plus difficile, il préconise un meilleur contrôle sur le financement et le fonctionnement des mosquées, en leur imposant l’abandon du statut Loi 1901 au profit de celui des associations cultuelles Loi 1905, plus transparent.
Parmi d’autres mesures envisagées, il y a l’extension de l’obligation de neutralité religieuse aux salariés d’entreprises délégataires d’une mission de service public ─ l’exemple de la RATP illustre ce que peuvent être les dérives en la matière ; mais aussi la réintégration de l’apprentissage de l’Arabe au sein de l’Éducation nationale. Aucune de ces mesures ne peut surprendre. Chacune d’elles a fait l’objet, depuis une vingtaine d’années, de longs débats, et souvent d’engagements politiques, qui n’ont pas été tenus.
Il est temps de les faire approuver par le Parlement, puis de les mettre en œuvre sans faiblesse.
Mais, j’y insiste, l’intitulé : « Lutte contre les Séparatismes » offre aux parlementaires l’opportunité de « généraliser » la démarche au-delà de l’islamisme, et de l’appliquer à l’emprise de groupes religieux s’inspirant de l’intégrisme catholique ou évangélique, en constante progression, sans oublier le judaïsme ultra-orthodoxe.
Par voie de conséquences, l’État devra relancer aussi son contrôle sur les pratiques sectaires, un chantier devenu problématique depuis la récente dissolution de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).

3.- Reste la réaffirmation par le chef de l’État de la nécessaire reconquête des quartiers en déshérence et des ghettos urbains.

Un mal endémique, que n’a pas réussi à traiter la création d’un ministère de la Ville, en 1990. Or, la panoplie des nouvelles armes, qui seront mises en place, ne saurait suffire.
Je rappelle inlassablement cette formule de Jean Jaurès : « La République doit être laïque et sociale, mais elle restera laïque, parce qu’elle aura su être sociale ». La question sociale et la question religieuse sont étroitement liées.
Et Emmanuel Macron le reconnaît, enfin, à son tour, lui qui avait commis l’erreur, en 2018, de refuser brutalement le Plan Banlieue, préparé par Jean-Louis Borloo. Il le dit aujourd’hui à sa façon : « Partout où la République ne donne plus d’avenir, n’attendez pas que ses enfants l’aiment.[…] Ça ne se décrète pas, l’amour. Ça ne se légifère pas ».
Certes, mais cela suppose des actes concrets en faveur de l’égalité des chances sur tout le territoire national : maintien des services publics de proximité, accès à l’emploi, forte qualification des enseignants, présence médicale, etc.
Autant de choix budgétaires, qui ne se feront pas facilement. Et, tout aussi important, cela exige la reconnaissance de l’égale dignité de tous les Français, quels que soient leur statut social et leurs convictions religieuses ou philosophiques.
Au fond, ce discours surprenant sur la Lutte contre les Séparatismes devrait avoir comme conséquence logique que le président Macron appelle au gouvernement Jean-Louis Borloo, et qu’il lui donne carte blanche.

Gérard DELFAU 5 octobre 2020
Ancien sénateur
Auteur avec Martine Charrier de Je crois à la politique, L’Harmattan, 2020
Directeur de la collection Débats laïques, L’Harmattan

https://youtu.be/dcIDKr9mJ7c

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La lettre de Laurent Joffrin #7 - Les deux séparatismes - Engageons-nous

PAUL DHAILLE : [1]

Je ne crois pas que l’emploi du mot « séparatismes » par E. MACRON ne mérite qu’un débat sur un néologisme politique. Le problème est plus grave et, pour moi, la laïcité signifie le refus de tous les Communautarismes. Comme toujours, E. MACRON se croit habile en déplaçant le terrain de l’affrontement. On passe du refus de tous les communautarismes à la lutte contre le(s) séparatisme(s). Il prétend échapper aux querelles du passé et accéder à un nouveau monde idéologique. Il cherche à satisfaire son public de Droite et d’Extrême Droite en visant à travers le(s) séparatisme(s) spécifiquement les musulmans. Les autres croyances (juives, catholique, protestant, bouddhiste… sectes diverses) ne se sentent pas concernées puisqu’ elles n’estiment pas (à juste titre je crois) aspirer à un quelconque séparatisme. De plus, le terme a une connotation extrême qui échappe, pour la plupart de nos concitoyen(ne)s, à la sphère de leur vie quotidienne.

Au contraire, le(s) communautarisme(s) relève(nt) de la vie de tous les jours, de l’organisation de la République et des pratiques institutionnelles courantes. Le(s) communautarisme(s) vise(nt) l’ensemble des religions (même minoritaires) et d’autres organismes. La Laïcité et le refus de tous les communautarismes sont les bases du « vivre ensemble » dans toutes les communes et de la paix sociale de notre pays. Ce « vivre ensemble » mérite des moyens financiers, sociaux, politiques, éducatifs et culturels à tous les échelons institutionnels de notre société.

E. MACRON ne se débarrassera pas de la Laïcité en voulant la ringardiser ou en voulant la réduire au seul combat contre le(s). séparatisme(s). Le combat pour la Laïcité n’a que faire des petites habiletés sémantiques et/ou politiques du pouvoir actuel.

PAUL DHAILLE

Notes

[1Homme politique. Laïcité et République