" Mises au point sur l’islamo-gauchisme"

, par Gérard Bouchet

D’une manière totalement inconsidérée, la ministre de l’enseignement supérieur a ouvert une polémique. Une nouvelle fois c’est l’occasion de lire sur les réseaux sociaux à peu près tout et n’importe quoi sur un sujet qui mériterait du sérieux et de la pondération dans l’analyse.

Certes, le terme islamo-gauchisme n’est pas un concept scientifique, pas plus d’ailleurs que les mots droite et gauche dans leur usage politique courant. Pour autant ce terme n’est pas vide de sens. C’est une expression descriptive de la posture politique adoptée par certains courants de gauche depuis quelques années.

Le terme est apparu en France en 2002 sous la plume de Pierre-André Taguieff, alors directeur de recherche au CNRS. Il tentait de désigner une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche au nom de la cause palestinienne, devenue cause à vocation universelle.
Depuis lors, son usage s’est étendu pour désigner le courant de pensée considérant que les musulmans sont aujourd’hui les principaux exploités par le système capitaliste et néocolonial. L’islam est tenu comme une possible arme d’émancipation pour ces dominés. La gauche révolutionnaire et progressiste, dans son combat pour les libertés et la défense des opprimés peut donc converger dans l’action avec les tenants de l’islam. De ce point de vue, critiquer l’islam c’est se ranger dans le camp des réactionnaires et des exploiteurs
La légitimité révolutionnaire de cette posture a été soutenue par un dirigeant trotskiste du Parti socialiste des travailleurs au Royaume-Uni, Chris Harman dans un livre paru en 1994 : Le Prophète et le prolétariat.
L’auteur y écrit : "Sur certaines questions, nous serons du même côté que les islamistes, contre l’impérialisme et contre l’État. C’était le cas, par exemple, dans un grand nombre de pays lors de la seconde guerre du Golfe. Ce devrait être le cas dans des pays comme la France ou la Grande Bretagne lorsqu’il s’agit de combattre le racisme. Là où les islamistes sont dans l’opposition, notre règle de conduite doit être : "avec les islamistes parfois, avec l’État jamais."

Un certain nombre d’universitaires, en relation plus ou moins directe avec cette stratégie, développent des études sur le racisme institutionnel, le genre, les discriminations, etc… qui frappent les populations immigrées, majoritairement musulmanes. Des séminaires « non mixtes », c’est-à-dire « réservés aux personnes racisées » ont été organisés dans les universités.
Je ne sais pas si l’islamo-gauchisme gangrène l’enseignement supérieur comme l’affirme la ministre.
Ce que je sais, par contre, c’est que l’islamo-gauchisme existe comme une stratégie de lutte révolutionnaire revendiquée par l’extrême gauche depuis un quart de siècle ; qu’il est exploité par la droite mais qu’il n’est pas, comme le prétendent certains, un concept de droite. Ceux qui veulent ignorer cette réalité en accusant ceux qui la révèlent se trompent manifestement ou s’aveuglent volontairement.

Si on veut avoir un débat raisonnable sur la question de la place de l’islam et de l’usage qui en est fait par certains courants politiques il faut sortir des à peu-près et regarder la réalité sans les œillères des a priori idéologiques. Les échanges en seront plus féconds.

Gérard BOUCHET

Voir en ligne : Laïcité – séparation ou régression néo - concordataire ? Gérard Bouchet

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