Lettre ouverte à un prélat de combat. Michel SEELIG

, par Michel Seelig

Monsieur  [1] Luc Ravel, nouvel archevêque de Strasbourg

Monsieur,
Votre affectation précédente d’évêque aux armées vous a peut-être formé au combat.
Je me permets de vous rappeler que dans votre nouvelle fonction d’archevêque concordataire de Strasbourg, ce combat idéologique que vous paraissez vouloir mener, si j’en crois vos premières déclarations, ce combat ne peut pas faire abstractions des règles de droit.

Je ne reviens que pour mémoire sur vos propos de janvier 2015, après l’attentat contre notamment Charlie Hebdo. Vous y fustigiez, je cite « les terroristes de la pensée, prescripteurs de la laïcité, adorateurs de la République ». Faut-il rappeler que l’article 8 du Concordat que vous défendez vigoureusement prévoyait que « la formule de prière suivante sera récitée à la fin de l’office divin, dans toutes les églises catholiques de France : “Domine, salvam fac Rempublicam”… ».

Dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, à l’annonce de votre nomination, vous avez notamment déclaré : « Que l’on ne compte pas sur moi pour abroger le Concordat, le modifier ou le diminuer ! Il me paraît une réalisation tout à fait excellente. C’est annoncé d’emblée, et tant pis pour ceux qui espéraient autre chose… ».
Rappelons ici que le Concordat de 1801 est un traité entre la République et la Papauté. Il a été abrogé avec la loi de Séparation de 1905. La République a accepté d’en maintenir certains effets en 1918, avec d’autres dispositions alors en vigueur dans les trois départements recouvrés.
Le Conseil constitutionnel dans une décision fondamentale de 2011 (affaire SOMODIA) a précisé que les dispositions du droit local (dans tous les domaines) restaient provisoires, ne pouvaient pas être étendues à d’autres bénéficiaires, ne pouvaient pas faire l’objet de modifications autres que le rapprochement avec le droit national et, surtout, que les pouvoirs règlementaire ou législatif, selon le cas, pouvaient les supprimer.
Sans vouloir attenter à la dignité de votre fonction, je me dois de vous dire qu’il n’appartient de toute façon pas à l’archevêque de Strasbourg de modifier des dispositions juridiques, même du régime local.

Le 24 février dernier, toujours dans les DNA, vous affirmez que le Concordat est un « système dans lequel l’autorité politique doit respecter l’autorité prophétique de l’Église et l’autorité prophétique de l’Église doit elle aussi respecter l’autorité politique ».
Votre propos fait référence, de manière allusive, aux prophètes de l’Ancien Testament, souvent en conflit ouvert avec les souverains, accusés de ne pas respecter la loi divine…
Pour rester dans le domaine du droit, il convient de revenir aux textes. Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous ne connaissez pas celui du Concordat. Pour les autres lecteurs de cette lettre je joins cependant le texte intégral des 17 articles du traité : ils pourront constater que le Concordat n’aborde en aucune manière ce que vous affirmez dans les propos cités ci-dessus.

Par ailleurs, si le Concordat et ses dispositions annexes devaient, à Dieu ne plaise, être perpétués, je souhaite pour ma part que l’on ne conserve pas uniquement les aspects favorables à l’Église (et aux autres cultes dits reconnus).
Il est utile par exemple de rappeler un texte de l’époque de l’annexion allemande que la République considère semble-t-il toujours en vigueur, puisqu’il a été officiellement traduit et publié dans les Recueils des Actes administratifs des préfectures des trois départements (pour la Moselle, recueil n° 113 du 29 août 2013).
Voici cet article 130A du Code pénal local du 15 mai 1871 :

« Tout ecclésiastique ou autre ministre du culte qui, soit dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, publiquement devant une foule, soit dans une église ou tout autre lieu affecté à des assemblées religieuses, devant plusieurs personnes, se livre, au sujet des affaires de l’État, à des déclarations ou discussions de nature à porter atteinte à la paix publique est passible de l’emprisonnement ou de la détention dans une forteresse pendant deux ans au plus. Sera puni de la même peine tout ecclésiastique ou autre ministre du culte qui, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, aura émis ou répandu un écrit contenant, au sujet des affaires de l’État, des déclarations ou discussions de nature à porter atteinte à la paix publique ».

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations les plus distinguées.

Michel SEELIG
Président du Cercle Jean Macé de Metz
Président du Conseil de l’IUT de Metz
Michel.seelig chez wanadoo.fr

ANNEXE : TEXTE COMPLET DU CONCORDAT

Sa Sainteté le souverain Pontife Pie VII, et le premier Consul de la République française, ont nommé pour leurs plénipotentiaires respectifs :
Sa Sainteté, son éminence monseigneur Hercule Consalvi, cardinal de la sainte église romaine, diacre de Sainte-Agathe ad Suburram, son secrétaire d’État ; Joseph Spina, archevêque de Corinthe, prélat domestique de sa Sainteté, assistant du trône pontifical, et le père Caselli, théologien consultant de sa Sainteté, pareillement munis de pleins pouvoirs en bonne et due forme ;
Le premier Consul, les citoyens Joseph Bonaparte, conseiller d’État ; Cretet, conseiller d’État, et Bernier, docteur en théologie, curé de Saint-Laud d’Angers, munis de pleins pouvoirs ;
Lesquels, après l’échange des pleins pouvoirs respectifs, ont arrêté la convention suivante :

CONVENTION Entre sa Sainteté Pie VII
et le Gouvernement français.
 
Le Gouvernement de la République reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français.
Sa Sainteté reconnoît également que cette même religion a retiré et attend encore en ce moment le plus grand bien et le plus grand éclat de l’établissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu’en font les Consuls de la République.
En conséquence, d’après cette reconnoissance mutuelle, tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure, ils sont convenus de ce qui suit :
Art. Ier. La religion catholique, apostolique et romaine, sera librement exercée en France. Son culte sera public, en se conformant aux règlements de police que le Gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique.
II. Il sera fait par le Saint-Siège, de concert avec le Gouvernement, une nouvelle circonscription des diocèses français.
III. Sa Sainteté déclarera aux titulaires des évêchés français, qu’elle attend d’eux, avec une ferme confiance, pour le bien de la paix et de l’unité, toute espèce de sacrifices, même celui de leurs sièges.
D’après cette exhortation, s’ils se refusoient à ce sacrifice commandé par le bien de l’église (refus néanmoins auquel sa Sainteté ne s’attend pas), il sera pourvu, par de nouveaux titulaires, au gouvernement des évêchés de la circonscription nouvelle, de la manière suivante :
IV. Le premier Consul de la République nommera, dans les trois mois qui suivront la publication de la bulle de sa Sainteté, aux archevêchés et évêchés de la circonscription nouvelle. Sa Sainteté confèrera l’institution canonique suivant les formes établies par rapport à la France, avant les changements de gouvernement.
V. Les nominations aux évêchés qui vaqueront dans la suite, seront également faites par le premier Consul ; et l’institution canonique sera donnée par le Saint Siège, en conformité de l’article précédent.
VI. Les évêques, avant d’entrer en fonctions, prêteront directement, entre les mains du premier Consul, le serment de fidélité qui étoit en usage avant le changement de gouvernement, exprimé dans les termes suivans : « Je jure et promets à Dieu, sur les saints évangiles, de garder obéissance et fidélité au Gouvernement établi par la Constitution de la République française. Je promets aussi de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique ; et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au Gouvernement ».
VII. Les ecclésiastiques du second ordre prêcheront le même serment entre les mains des autorités civiles désignées par le Gouvernement.
VIII. La formule de prière suivante sera récitée à la fin de l’office divin, dans toutes les églises catholiques de France : Domine, salvam fac Rempublicam ; Domine, salvos fac Consules.
IX. Les évêques feront une nouvelle circonscription des paroisses de leurs diocèses, qui n’aura d’effet que d’après le consentement du Gouvernement.
X. Les évêques nommeront aux cures. Leur choix ne pourra tomber que sur des personnes agréées par le Gouvernement.
XI. Les évêques pourront avoir un chapitre dans leur cathédrale, et un séminaire pour leur diocèse, sans que le Gouvernement s’oblige à les doter.
XII. Toutes les églises métropolitaines, cathédrales, paroissiales et autres non aliénées, nécessaires au culte, seront mises à la disposition des évêques.
XIII. Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l’heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle, ni ses successeurs, ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés, et qu’en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés, demeureront incommutables entre leurs mains ou celles de leurs ayant cause.
XIV. Le Gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés dont les diocèses et les cures seront compris dans la circonscription nouvelle.
XV. Le Gouvernement prendra également des mesures pour que les catholiques français puissent, s’ils le veulent, faire en faveur des églises, des fondations.
XVI. Sa Sainteté reconnoît dans le premier Consul de la République française, les mêmes droits et prérogatives dont jouissoit près d’elle l’ancien gouvernement.
XVII. Il est convenu entre les parties contractantes, que, dans le cas où quelqu’un des successeurs du premier Consul actuel ne seroit pas catholique, les droits et prérogatives mentionnés dans l’article ci-dessus, et la nomination aux évêchés, seront réglés, par rapport à lui, par une nouvelle convention.
Les ratifications seront échangées à Paris dans l’espace de quarante jours.

Fait à Paris, le 26 messidor de l’an 9 de la République française.
Signés,
Hercule, cardinal CONSALVI (L.S.) ; J. BONAPARTE (L.S.) ; J. arch. de Corinthe (L.S.) ; CRETET (L.S.) ; F. Ch. CASELLI (L.S.) ; BERNIER (L.S.) 

Notes

[1Rappelons que les Articles organiques de la convention du 26 messidor an X (Le Concordat du 15 juillet 1801) précisent que : « il sera libre aux archevêques et évêques d’ajouter à leur nom le titre de citoyen ou celui de monsieur. Toutes autres qualifications sont interdites » (article 12).