Gérard Delfau : Le Président Macron renonce à « réviser » la loi de 1905 : une décision sage et une victoire pour les laïques.

, par Gérard DELFAU

Reprenant un projet avorté de Nicolas Sarkozy , le Président Macron avait annoncé son intention de « réviser » la loi de Séparation des Églises et de l’État. C’était un acte grave au niveau symbolique que de toucher ainsi à l’un des fondements constitutionnels de la nation. C’était grave aussi au plan politique, car cette initiative ouvrait la voie dans le futur à d’autres tentatives plus attentatoires encore à l’esprit même de la loi, qu’expriment les deux premiers articles, intitulés Principes. Aujourd’hui, il renonce à ce funeste projet et annonce que les problèmes spécifiques liés à l’islam seront traités dans le cadre législatif et réglementaire existant ou par les procédures ordinaires. C’est une sage décision. Analyser ce « moment politique » est important. Il conditionne en partie la suite du quinquennat.

Lors de la rencontre avec les intellectuels, lundi soir, le Président Macron a annoncé qu’il abandonnait tout projet de « révision » de la loi de 1905. Et il l’a fait en termes non équivoques. Il répondait ainsi aux questions de Dominique Schnapper, une intellectuelle très respectée, et de Rachid Benzine, auteur entre autres, de l’ouvrage Les nouveaux penseurs de l’islam.

Les raisons de ce retrait inattendu sont multiples : la division profonde des députés de la République en marche rendait aléatoire un tel vote au Parlement. L’affaiblissement considérable de l’Église catholique, compte tenu de la multiplication des scandales, rendait difficile l’opération qui aurait pu lui apporter quelques menus avantages. La division des représentants du culte musulman, et leur faible représentativité, privait l’Élysée des interlocuteurs indispensables.

Par ailleurs, leurs craintes d’une mise sous tutelle par le pouvoir politique ̶ une caractéristique des régimes de type concordataire ̶ les rendaient réticents, malgré les avantages espérés, une inquiétude partagée par tous les autres appareils religieux, notamment catholique. Enfin, la mobilisation inattendue du camp laïque est venue ajouter aux difficultés. A dû jouer aussi le contexte politique : comment ouvrir un nouveau front en plus de l’interminable crise des Gilets jaunes ? Depuis mardi, s’ajoute cet autre élément dissuasif que représente le succès mal relayé par la presse des manifestations syndicales, à Paris notamment, comme j’ai pu le constater moi-même. Le social est bien prioritaire pour nos concitoyens.

Fort bien, mais à présent ? Dans sa longue réponse, le Président Macron a identifié trois problèmes spécifiques liés au fonctionnement du culte musulman en France : son financement opaque par des pays étrangers, essentiellement l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie ; l’organisation contestée du pèlerinage sur les « lieux saints » de La Mecque, sous l’étroit contrôle là encore de l’Arabie Saoudite ; enfin, l’intrusion politique du Président Erdogan dans la vie intérieure française, au travers de quelques personnalités des communautés de Français musulmans d’origine turque.

Sur tous ces sujets, il s’agit d’appliquer nos lois et réglementations. Sur le premier, il suffirait que tout argent étranger soit obligatoirement versé d’abord à la Fondation de France. Une idée qui remonte, si je m’en souviens bien, à Jean-Pierre Chevènement. Sur le second, celui du pèlerinage, il appartient à Bercy de faire les vérifications nécessaires, et, en cas de besoin, de diligenter les procédures habituelles. Sur le troisième, c’est une question de souveraineté nationale. On ne peut donc pas transiger. Voilà pour les armes dont dispose le Président de la République. Et il peut s’appuyer sur l’opinion publique, y compris la plus grande partie de nos concitoyens de confession musulmane, attachés aux lois de la République.

Reste un problème dont nous ne sommes pas maîtres : la représentativité insuffisante du Conseil Français du culte musulman. Là encore vieille question… Mais, devant la fermeté des pouvoirs publics une évolution est possible à l’occasion de l’élection du successeur de son président actuel, Ahmet Ogras, français d’origine turque, en juin prochain. Il faut se souvenir que l’application de la loi de Séparation ne s’est pas faite sans déchirements et polémiques entre 1905 et 1907, s’agissant de l’Église catholique. Donc j’ai confiance.

Il faut tirer les leçons de ce qui vient de se passer. Cette sage décision du Président, c’est bien la victoire des laïques, c’est-à-dire de cette très large majorité de Français qui refusent toute forme d’intrusion d’une religion dans le fonctionnement de l’État.

Gérard DELFAU
Ancien sénateur,
Directeur de la collection Débats laïques, Éditions L’Harmattan
20-03-2019