La collection Débats laïques : un événement éditorial, un fait politique.

, par Gérard DELFAU

"14 ouvrages déjà parus, la thématique de la Laïcité occupe une place à part entière dans le monde de l’édition. C’est une avancée significative."...

"Débats laïques" est la première, et, jusqu’à présent, la seule collection, qui soit consacrée spécifiquement à la Laïcité, alors qu’il en existe une vingtaine, dont le titre se réfère explicitement aux religions.
Elle a été créée en novembre 2015, sur ma proposition, grâce à Denis Pryen, fondateur des Éditions L’Harmattan. Le premier volume publié, que j’ai signé, La Laïcité, défi du XXIe siècle, résumait son ambition. Désormais, grâce aux 14 ouvrages déjà parus, la thématique de la Laïcité occupe une place à part entière dans le monde de l’édition. C’est une avancée significative. Et mon initiative est devenue un projet collectif, rassemblant une vingtaine d’auteurs, issus de différentes familles de pensée et qui ont en commun leur engagement laïque.


  • Illustration : Gérard Delfau, La laïcité, défi du XXIe siècle, 2015. Georges Bringuier, Un grand récit de la laïcité. De Clovis à Briand, 2019.

L’objectif de la collection, c’est de promouvoir la Liberté de conscience, inscrite en tête de l’article 1er de la loi de Séparation des Églises et de l’État. Une étape décisive pour notre démocratie. Or, le vote de 1905, qui met fin au régime concordataire instauré par Napoléon Bonaparte, n’est pas un acte isolé, encore moins un accident de l’histoire, comme d’aucuns voudraient nous le faire croire. Sa matrice, c’est la Révolution française. Et, à partir de là, se déroule un siècle d’intenses luttes sociales et politiques pour instaurer la République et mettre un terme au monopole de l’Église catholique sur la vie des Français. Un parcours chaotique, ponctué de moments glorieux et de drames atroces. Les massacres de Juin 1848 et l’écrasement de la Commune de Paris, en 1871, en sont deux périodes particulièrement tragiques. Puis, la IIIe République succède à l’Ordre moral et entreprend la mise en œuvre de la laïcisation de la société. Et le 9 décembre 1905 la loi de Séparation est enfin promulguée, sans que cesse complétement le poids des appareils religieux sur nos institutions. En effet, aujourd’hui encore, malgré l’article 1er de la Constitution faisant référence à la « République laïque », l’histoire de la Séparation demeure inachevée, puisque ce statut est refusé à une partie de la Nation. C’est pourquoi, j’ai voulu que l’un des deux premiers titres de la collection traite de cette survivance, le Concordat, qui interdit à une minorité de nos concitoyens le droit de jouir de la Liberté absolue de conscience. Une situation inacceptable, qui se maintient en raison du consentement tacite ou de la complaisance coupable de beaucoup de dirigeants politiques. Il est temps d’y mettre fin.

  • Illustration : Michel Seelig, Vous avez dit Concordat ? Sortir progressivement du régime dérogatoire des cultes, 2015. Jean-Marie Gillig, L’école laïque en Alsace et en Moselle. Une histoire inachevée, 2017.

Mais l’adoption de la loi de Séparation, c’est plus que le dénouement de cette séquence, qui avait marqué le XIXe siècle. C’est aussi l’aboutissement d’un mouvement de pensée multiforme, de longue durée, et caractéristique de notre civilisation : il part de la Grèce classique, se cristallise sous la Révolution française, et débouche sous la IIIe République, laquelle pose juridiquement les fondements de la Laïcité.
Sa composition est d’une extraordinaire richesse. Rappelons-en les éléments les plus saillants : l’influence de la culture arabo-musulmane sur la péninsule ibérique durant le haut Moyen Age, aujourd’hui encore sous-estimée ; plus tard, et mieux connus, l’Humanisme, la Réforme, le Cartésianisme, le Courant libertin ; et, enfin, comme un couronnement, la Philosophie des Lumières. Citons quelques-unes des personnalités les plus marquantes, dans leur diversité : Averroès, Érasme, Montaigne, Spinoza, Descartes, Pierre Bayle, Rousseau, Voltaire, Diderot, le baron d’Holbach, Kant, Condorcet, sans oublier Olympe de Gouges, sous la Révolution, dont le rôle dans la promotion de la condition féminine fut déterminant. Telles sont « les racines civiles », autrement dit « laïques », de la France républicaine, dont le message rayonne bien au-delà de nos frontières. Le champ d’investigations est immense. Et nous voulons contribuer à le défricher.

  • Illustration : Gérard Delfau, André Gounelle, Jacques Haab, Thierry Mesny, Didier Molines, Jacques-Louis Perrin, L’invention de la liberté de conscience ou l’entrée dans la modernité, 2017. Gérard Bouchet, La laïcité en question(s), 2018.

Pourtant, la collection "Débats laïques" n’obéit pas seulement à une démarche scientifique ; son objectif n’est pas limité au champ du savoir, même si cette dimension est importante. Elle se situe clairement dans les combats de notre temps. Ainsi, elle prend position contre les dogmes et les archaïsmes, que tentent d’imposer des intégrismes et des fondamentalismes religieux, qu’ils soient catholiques, musulmans, évangéliques ou juifs. Elle est anticléricale, sans être antireligieuse. Elle interpelle ceux de nos dirigeants qui sont nostalgiques d’un régime néo-concordataire et tentés par une pratique clientéliste. Elle s’oppose aux dérives « décoloniales » et « racialistes », ainsi qu’à la pénétration de l’idéologie anglo-saxonne du Woke, courants qui se répandent au sein de l’Université et dans les milieux intellectuels, et qui tentent de substituer les notions de tolérance et de communautarisme à celles de Laïcité et d’Universalisme. Et, bien sûr, elle dénonce avec force l’instrumentalisation de la Laïcité par l’extrême droite : une imposture, qui fait de la Laïcité l’alibi du racisme. Mais elle ne se borne pas à une défense vigoureuse et diversifiée de la Laïcité. Elle milite en faveur d’une République laïque et sociale, alors que l’on célèbre partout « le retour des religions ». Et elle le fait, au nom de la modernité et de la paix civile, ce bien inestimable.

  • Illustration : Gérard Bouchet, Laïcité-séparation ou régression néo-concordataire ? 2020. Charles Coutel, Pour une République laïque et sociale. Héritages, défis, perspectives, 2021.

Concrètement, elle affirme le rôle central de l’École publique laïque et des lois portées par Jules Ferry, ainsi que le principe d’égalité des droits des femmes et des minorités sexuelles, contrairement au fond commun des religions monothéistes. Elle promeut la neutralité de la Fonction publique et la pleine actualité de la loi de 1905, sa pertinence, y compris s’agissant de l’islam, tout en soulignant que la question sociale et la question religieuse sont intimement liées, comme nous l’a appris Jean Jaurès. Elle rappelle inlassablement la primauté, dans la vie publique, de la loi républicaine sur les prescriptions de nature religieuse. C’est même ce que signifie le principe de Séparation.

  • Illustration : Eddy Khaldi (Coordination.), La gratuité de l’école publique. Pour promouvoir la mixité sociale, 2019. Michel Delmas, L’islam et la République laïque, 2019.

Elle souligne , enfin, que, désormais, environ 2/3 des Français se déclarent athées, agnostiques, libres penseurs, ou tout simplement indifférents. Et que plus de 80% d’entre eux, croyants comme non-croyants, sont attachés à la Laïcité, ce que montrent la large approbation qu’obtient le régime de Séparation et le soutien à la loi Veil sur l’IVG, à la loi Taubira sur l’autorisation du mariage des couples de même sexe, à la loi Leonetti sur la Fin de vie, etc. : autant de libertés individuelles difficilement conquises, et durement combattues, aujourd’hui encore, par les Églises et les appareils cléricaux, en France et dans le monde.

Illustration : Didier Molines, Convictions républicaines, interrogations laïques, 2021. Nadia Geerts, L’après-midi sera courte. Plaidoyer pour le droit à l’euthanasie, 2019.

Dans cet esprit, la collection s’attache à donner la parole et à faire dialoguer, sereinement et sur un pied d’égalité, des femmes et des hommes de confessions ou de convictions philosophiques différentes, qu’ils soient catholiques, protestants, musulmans ou juifs, ou encore athées, libres penseurs, agnostiques, francs-maçons, tous se reconnaissant comme laïques. Elle se situe volontairement dans le seul champ de l’argumentation, excluant toute attaque personnelle, contrairement aux pratiques en cours dans les médias et les réseaux sociaux. En ce sens aussi, elle se veut laïque.

  • Illustration : Monique Cabotte-Carillon (sous la direction de), Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours, 2017. Monique Cabotte-Carillon (sous la direction de), Laïcité, Identité(s), citoyenneté. La même loi pour tous, 2020.

Bref, la collection n’a pas uniquement pour but d’exposer au grand public la problématique de la Laïcité, même si c’est sa première tâche. Elle n’offre pas seulement un panorama de son histoire et de ses controverses, voire de ses échecs ou de ses pierres d’achoppement. Elle a une autre vocation : indépendante de toute allégeance partisane et de tout calendrier électoral, elle est, par chacun de ses ouvrages, un acte politique, au sens premier du terme, c’est-à-dire ce qui a trait à la construction de la Cité. Modestement, elle entend contribuer au renouveau d’un projet de société, inspiré des Lumières et fondé sur une conception humaniste. Malgré le climat de désenchantement ou de scepticisme, qui prévaut actuellement, elle entend porter un espoir. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle dérange, comme le montrent certains silences obstinés, mais aussi qu’elle passionne, bien au-delà des cercles laïques. Elle dit qu’un autre monde est possible. Souvenons-nous : au pire moment de l’Affaire Dreyfus, qui pouvait imaginer 1905 ?

Gérard DELFAU. Ancien maire et sénateur. Ancien maître de conférences à l’Université Paris-VII - Directeur de la collection "Débats laïques", L’Harmattan. Août 2021

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