Victor Hugo tonne contre la loi Falloux – 1850-PAGE 3/3

, par Gérard DELFAU

Texte complémentaire du chapitre 3 de l’ouvrage. L’Harmattan, 2015, p.47 : La IIIème République, âge d’or de l’école publique et de la laïcité. (1879-1905).

Il aurait pu en rester là, limiter son propos à l’école. Or, il généralise : « J’entends maintenir, quant à moi, et, au besoin, plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation [2], qui était l’utopie de nos pères, et cela dans l’intérêt de Église comme de l’État. (Acclamations à gauche, protestation à droite.) » Un peu plus loin, il revient sur cette idée, dont il souligne l’origine révolutionnaire par la répétition du mot « pères » : « En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères : l’Église chez elle et l’État chez lui [3]. » En cela, il anticipe, y compris dans le vocabulaire, sur ce qui deviendra la loi de 1905.

Certes, ces idées étaient dans l’air. Elles sont exposées au même moment par Edgar Quinet dans son ouvrage : L’Enseignement du peuple, qui paraît en 1850. Mais elles trouvent ici une formulation frappante. De plus, elles sont énoncées avec l’autorité d’un grand poète, académicien et pair de France, longtemps monarchiste et depuis peu rallié à la République. Elles heurtent de plein fouet la majorité de cette Chambre dévouée à Louis Bonaparte, et déjà consentante au coup d’état militaire qui rétablira l’Empire.
Puis l’orateur élève le ton. Il se livre à une dénonciation flamboyante des méfaits du « Parti clérical », qu’il distingue soigneusement de l’Eglise catholique. Et, pamphlétaire, il oppose Saint-Vincent-de-Paul, les petites sœurs de charité s’occupant des mourants, et « l’évêque de Marseille au milieu des pestiférés  [4] », qu’il admire, à la face sombre de l’institution cléricale qu’il réprouve : l’Inquisition et ses « cinq millions de morts » [5], la persécution des autres cultes, la condamnation de Galilée et de Pascal. Il respecte la religion, dit-il, mais il condamne toutes les atteintes à la liberté de pensée, toutes les tentatives pour « « mettre un bâillon à l’esprit humain ». Voilà qui entre en résonance avec la France d’aujourd’hui, celle de l’après-janvier 2015…

Enfin, interpellant ses adversaires, il enchaîne avec une ode dédiée à la France, Patrie de la raison et des lumières : « Oui, voulez-vous que je vous dise ce qui vous importune ? C’est cette énorme quantité de lumière libre que la France dégage depuis trois siècles, lumière toute faite de raison, lumière plus éclatante que jamais, lumière qui fait de la nation française la nation éclairante, de telle sorte qu’on aperçoit la clarté de la France sur la face de tous les peuples de l’univers(…). Voilà ce que vous voulez éteindre, voilà ce que nous voulons conserver. (Acclamations à gauche. Rires ironiques à droite.) »
Dès ce moment-là, le cadre conceptuel et historique de la laïcité est fixé ─ et pourtant, nous ne sommes qu’en 1850 ! Résumons : les Lumières et la Raison comme guides ; la Réforme, le Cartésianisme et la Révolution, comme principales étapes de ce lent mouvement d’émancipation ; la Séparation, comme moyen juridique. Et l’école publique, comme instrument. Un peu plus loin, Victor Hugo ajoute : « Ce qu’il faut à la France, c’est l’ordre, mais l’ordre vivant qui est le progrès. » Et il conclut son discours par cet avertissement prémonitoire : « Eh bien ! Je vous le répète avec une profonde douleur, moi qui hais les catastrophes et les écroulements, je vous avertis la mort dans l’âme, vous ne voulez pas le progrès, vous aurez les révolutions. » Un profond tumulte accueille sa péroraison. Tandis qu’il descend de la tribune, on l’embrasse, on le félicite ou on l’insulte. Ce discours restera comme l’expression la plus achevée de la défense et illustration de l’école laïque. De sa nécessité aussi, selon notre conception de la République. Mais il annonce aussi la longue marche des Républicains, durant le Second Empire, la Commune de Paris, et la période de l’Ordre moral. Une traversée du désert, ponctuée d’épisodes sanglants, jusqu’à la victoire de Gambetta et l’élection de Jules Grévy à la présidence de la République, entre 1877 et 1879, le véritable début de la IIIe République.

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Notes

[2Souligné par moi.

[3Idem

[4Monseigneur Belsunce, évêque de Marseille, dont le courage lors de la grande épidémie de peste, en 1720, fit l’admiration de tous. Lire Nathan Wachtel, La logique des bûchers, Librairie du XXIe siècle, Seuil, 2009, qui montre que l’Inquisition fut la matrice des régimes totalitaires de l’époque contemporaine.

[5Lire Nathan Wachtel, La logique des bûchers, Librairie du XXIe siècle, Seuil, 2009, qui montre que l’Inquisition fut la matrice des régimes totalitaires de l’époque contemporaine.