Un climat « fin de siècle. [1] »
Dans les années 1890 le climat intellectuel a changé. Les idées progressistes sont désormais sur la défensive. L’esprit « fin de siècle » incline à la religiosité, voire au mysticisme, quand il ne s’attarde pas à la célébration des forces obscures, au spiritisme, à l’occultisme. Satan est à la mode, aussi bien dans les arts plastiques que dans la presse et la littérature populaire. La preuve en est l’incroyable succès que rencontre la supercherie d’un publiciste, Léo Taxil [2], qui, après avoir épuisé la veine anticléricale, se lance dans de prétendues révélations sur les rites démoniaques, auxquels se livrerait la Franc-maçonnerie.
Ses publications, à partir des années 1890, obtiennent un vif succès, notamment auprès du clergé, au point qu’il reçoit les encouragements du Vatican. En 1897, il dévoile la mystification, à la grande fureur de l’Église. Mais la vogue de l’irrationnel persiste.
Plus sérieusement, les excès du positivisme, sa propension à nier toute dimension spirituelle dans l’activité humaine, sa croyance naïve dans la science, qui tourne trop souvent au scientisme, sa tendance à réduire la morale à quelques lieux communs de la vie en société, toutes ces dérives ont généré une défiance envers l’héritage des Lumières et l’œuvre d’Auguste Comte.
Par contrecoup, le catholicisme retrouve une audience au sein de l’université, chez les écrivains et les artistes, comme dans les professions libérales. Significative, à cet égard, est la conversion bruyante du critique littéraire et académicien, Ferdinand Brunetière, en 1895, après une visite à Rome. À son retour, il donne à la Revue des deux mondes un article retentissant sur les « faillites partielles de la Science ». Il ne cessera plus de creuser ce sillon, par ses conférences et ses articles, pour en déduire le « besoin de croire » et justifier son adhésion à la foi chrétienne. Il s’attire, dès sa prise de position, de vives répliques : « Proclamer la banqueroute de la science, passe encore, dit l’un, mais faire appel au pape comme liquidateur, en vérité, cela dépasse les bornes. »
D’autres choisissent une réaction collective : le 4 avril 1895, a lieu, sous la présidence de Marcellin Berthelot, grand savant républicain, un banquet dont le carton d’invitation porte l’inscription : « Hommage à la Science, source de l’affranchissement de la pensée. » D’Anatole France à Émile Zola, le tout-Paris progressiste y participe. Mais ces convives prestigieux sont minoritaires dans l’opinion publique.
Plus significative encore du nouvel état d’esprit est l’évolution du romancier Joris- Karl Huysmans. Il a commencé sa carrière à l’école naturaliste avec les Sœurs Vatard (1879), et en collaborant aux Soirées de Médan, aux côtés d’Émile Zola. Puis il s’est tourné vers le désenchantement aristocratique dans À rebours (1884), créant un héros décadent et névrosé, Jean des Esseintes.
Ce dernier se désespère à l’idée de vivre au milieu de ses semblables et il implore le secours de la Grâce : « Seigneur, prends pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s’embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n’éclaire plus les consolant fanaux du vieil espoir. » Un temps, l’écrivain a cherché une diversion dans la magie noire : Là-bas (1891) est consacré à ce thème...