La Constitution l’affirme : la République est laïque, sociale et indivisible Mais pas partout ! Ainsi, en Alsace-Moselle, la loi républicaine a-t-elle laissé place depuis 1919 à un statut dérogatoire, discriminatoire, attentatoire à la liberté de conscience et à l’égalité de droit entre tous les citoyens : le Concordat !
Pourquoi conserver cette verrue sur le nez de Marianne et ne pas adopter enfin une "sortie concertée et progressive", le rattachement à la loi commune, ainsi que le propose Michel Seelig, expert du sujet, et auteur d’un très précieux Vous avez dit Concordat ? aux éditions L’Harmattan.
Fruit de circonstances historiques exceptionnelles dues à la guerre, à l’occupation prussienne, à la politique de Bismarck et à celle du Vatican, le concordat, statut prévu pour être transitoire - un provisoire qui s’éternise ! - impose notamment l’enseignement religieux obligatoire à l’école publique, le délit de blasphème, le financement public des cultes pour ceux "reconnus" ( 60 à 70 millions d’euros par an prévus au budget de l’Etat), les catholiques, les protestants et les juifs, tout en excluant les églises évangélistes, les juifs libéraux et les musulmans, les non-croyants, agnostiques, athées ou indifférents.
Michel Seelig, président du Cercle Jean Macé et de l’IUT de Metz, instruit le dossier avec une grande rigueur dans toutes ses dimensions : historique, philosophique, juridique, sociologique, politique.
Philosophiquement, il souligne que le prosélytisme religieux à l’école constitue une transgression fondamentale de la liberté de conscience. Il en est de même du délit de blasphème, non appliqué depuis longtemps, mais toujours inscrit dans le Droit local (article 166). Rien ne semble pouvoir empêcher une personne morale ou physique de l’invoquer en déposant plainte contre un prétendu blasphémateur. Le 17 février 2014, Charlie Hebdo avait été assigné devant le tribunal correctionnel de Strasbourg pour blasphème par la Ligue de défense judiciaire des musulmans.
Juridiquement, l’auteur explique que le statut discriminatoire pourrait conduire à ce qu’il soit contesté devant les hautes juridictions françaises ou la Cour européenne des Droits de l’Homme. Ce qui embarrasserait la France, puisque les textes interdisent d’élargir le périmètre d’application du concordat. Il démontre également que, contrairement à ce qu’affirment les thuriféraires du concordat, celui-ci est indépendant du droit local dont les dispositions (code du travail, droit de la chasse, sécurité sociale..) autrefois plus favorables que le droit commun, sont souvent évoquées pour effrayer les populations locales. En fait, ces privilèges ont en grande partie disparu. L’argument est obsolète.
Politiquement, ce débat peut paraître issu des limbes de l’histoire, le délit de blasphème ayant été abrogé par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 . Et pourtant ! Le président du Conseil Régional du Culte Musulman d’Alsace s’est ainsi prononcé contre son abrogation et a même souhaité "son extension à tout le territoire national" ! Cas de conservatisme isolé ou symptôme de nouvelles attaques contre la laïcité ? Depuis une quinzaine d’années, quinze résolutions condamnant "la diffamation des religions" ont été présentées au sein des Nations Unies, grâce au lobbying des principales religions et tout particulièrement de l’Eglise catholique, rappelle l’auteur. Heureusement, la France s’y est toujours opposée.
Alors, coulé dans le marbre ce concordat ? Le Conseil constitutionnel a pourtant rappelé clairement que le régime dérogatoire des cultes s’applique "tant que le législateur n’en aura pas décidé autrement". Un appel aux politiques à prendre leurs responsabilités !
En 1924, sous le Cartel des Gauches, le gouvernement du radical-socialiste Edouard Herriot avait dû renoncer au rétablissement du droit commun. En 1945, à la Libération, il en fut de même sous la pression des démocrates-chrétiens du MRP. Pourquoi, depuis, le chantier n’a-t-il pas été ouvert ? Gérard Delfau, président de l’association Egale, répond dans la préface du livre de Seelig : "La droite s’y oppose pour des raisons électoralistes et idéologiques. La gauche locale, à quelques exceptions près, s’y refuse par manque de courage. La gauche nationale tergiverse. Il faut donc porter le débat devant l’opinion publique, devant tous les Français."
C’est ce qu’ont fait en avril 2012 le Collectif laïque, l’association Egale, le Comité Laïcité République, à l’invitation de Laïcité d’accord et du cercle Jean Macé, en proposant une "sortie progressive et concertée" du Concordat.
La proposition est importante au moment où ressurgit un mouvement visant à contourner davantage encore, voire à supprimer, la notion de séparation, alors qu’elle constitue le fondement de la laïcité en France. Ainsi les partisans d’une "laïcité" dite "concordataire", n’hésitent pas à affirmer que le concordat pourrait s’appliquer à tout le territoire national ! Déjà la mission Machelon, mise en place en 2005 par Nicolas Sarkozy, demandait de réviser la loi de 1905 pour ne retenir comme constitutionnel que le principe général de neutralité et d’indétermination religieuse de l’Etat.
L’ouvrage de Michel Seelig tombe à point alors que la laïcité se retrouve au coeur du débat politique parfois pour le meilleur, pour le pire trop souvent. L’auteur, en conclusion, donne la parole à Jean-Louis Debré : "La laïcité n’est pas négociable. Le drame de nos sociétés actuelles, c’est qu’on n’est pas assez offensif sur ce principe. La laïcité n’est pas une solution, c’est la solution." C’est le Président du Conseil Constitutionnel qui le dit !
Patrick Kessel