Gérard Delfau - La Laïcité, défi du XXIe siècle : Un ouvrage d’ensemble ... Une vision historique et synthétique de la Laïcité.

, par Gérard DELFAU

La laïcité, c’est plus que la Séparation […] Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’universalisation du principe de Laïcité ou la généralisation des guerres de Religion, comme au XVIe siècle, mais, cette fois, à l’échelle de la planète ».

Pour ouvrir la collection Débats laïques, il fallait un ouvrage d’ensemble, offrant une vision historique et synthétique de la Laïcité. Quand j’ai commencé à l’écrire, en février 2015, nous étions dans la stupeur des attentats contre Charlie Hebdo et l’épicerie casher. Bientôt viendra, à la rentrée, la tuerie du Bataclan. Une phrase me hantait : « Ils ne peuvent pas être morts pour rien [1] ».

Je n’en étais pas à ma première publication sur cette thématique, mais j’ai voulu cette fois prendre de la hauteur, élargir le débat, dépasser le récit classique du vote de la loi de Séparation, objet de mon premier livre, Du principe de Laïcité [2]. Un combat pour la République .

- Un acte souverain de la République

En effet, je suis convaincu que « La laïcité, c’est plus que la Séparation », même si la loi de 1905 en est une étape déterminante, ou plutôt le fondement.
Je me démarque ainsi de tous ceux qui veulent réduire la Laïcité à sa signification juridique et institutionnelle, et le concept de Séparation à la notion de « Pacte », alors qu’il s’agit d’un acte souverain de la République.

- La Laïcité est un processus historique, de longue durée, multiforme et par nature inachevé.

Il s’étend sur plus de deux siècles, depuis la Révolution française, jusqu’à la loi Veil dépénalisant l’IVG, en 1975, et la loi Taubira autorisant le Mariage de couples de même sexe, en 2013, ou la loi Leonetti sur la Fin de vie, en 2016, en passant par les grands textes de la IIIe République, socle de notre démocratie : entre autres, les lois Ferry-Goblet sur l’École publique, les lois sur les obsèques civiles et la municipalisation des cimetières, la loi sur la liberté de la presse et l’abolition du délit de blasphème, la loi de Séparation, en 1905, sans oublier l’Arrêt Bouteyre, en 1912, qui consacre la neutralité de la Fonction publique. Le tout forme ce que j’ai nommé : Bloc législatif de Laïcité ; et il n’est pas figé, comme le montre le débat sur l’extension de la PMA.

- Cette exception française

J’ai voulu traiter, fût-ce brièvement, dans le même livre, toutes ces avancées sur le chemin de l’émancipation des consciences et la conquête des libertés individuelles,

• novembre 2015 • 238 pages 20€ - LIRE LE SOMMAIRE : Cliquez sur le livre.

notamment pour les femmes et les minorités sexuelles, en dépit de l’opposition des appareils religieux. Avec la loi de Séparation, ce sont-là les principaux éléments constitutifs de la Laïcité, cette « exception française ».

- Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’universalisation du principe de Laïcité

Je tenais, enfin, à rappeler que nous en avons fini avec cette quiétude, qui caractérisait la place de la religion dans notre société après Mai 68 et la vague de sécularisation.
Depuis, la situation a changé : la polémique récurrente sur le foulard islamique, les cortèges intégristes de la Manif (dite) pour tous, et infiniment plus graves, les attentats terroristes islamistes, nous obligent à revoir notre rapport à la religion, en France, et à élargir notre réflexion à la dimension internationale, notamment aux conflits sanglants qui déchirent le Moyen-Orient et l’islam. D’où ce constat, que je fais en conclusion :
« L’enjeu de la Laïcité est à la mesure d’un risque de conflagration mondiale […].
Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’universalisation du principe de Laïcité ou la généralisation des guerres de Religion, comme au XVIe siècle, mais, cette fois, à l’échelle de la planète ».

Tel est le défi du XXIe siècle, et nous devons l’affronter lucidement. Mais, attention, il ne faut pas confondre la masse des croyants qui pratiquent leur culte de façon républicaine, quelle que soit leur confession, avec les petites minorités qui ont cédé à une conception fondamentaliste ou intégriste.
La très grande majorité des Français applique la maxime que formule le titre l’ouvrage de Monique Cabotte–Carillon : Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours [3]. Cette règle de vie assure la paix civile et la Liberté de conscience, conditions de la démocratie.
10 décembre 2019

- Nous en avons fini avec cette quiétude...

je tenais à faire comprendre combien nous en avions fini avec cette quiétude, qui caractérisait notre rapport à la religion, depuis Mai 68, et la vague de sécularisation, qui avait affaibli l’Église catholique.
Je voulais, enfin, marcher sur la ligne de crête, celle des pionniers de la Laïcité-séparation, il y a plus d’un siècle : je refusais toute complaisance envers les dérives communautaristes, suscitée par la diffusion de l’islam politique et entretenues à gauche par les thèses dites « racialistes ».
Bien sûr, je récusais ; plus énergiquement encore, le racisme anti-Français musulmans, que l’extrême droite tente de dissimuler sous le nom de Laïcité. Une escroquerie.

- Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours.

Peu à peu, au fil des interventions, j’ai appris à clarifier les points controversés ; et à repérer les pièges. Et progressivement, je me suis donné quelques règles à respecter dans tout exposé.
D’abord, rappeler d’entrée de jeu qu’il ne faut pas confondre la masse des croyants, qui vivent leur culte de façon républicaine, quelle que soit leur confession, avec les minorités qui ont cédé à une conception intégriste de leur religion.
La très grande majorité des Français applique la règle de vie que formule le titre l’ouvrage de Monique Cabotte–Carillon : Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours. Rappeler en préambule cette évidence, c’est se mettre en mesure d’aborder dans les meilleures conditions l’article premier de la loi de Séparation : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes [...] ».

- Les intégrismes partagent la même nature, la même volonté de discrimination ou de domination.

La deuxième règle est tout aussi impérative : elle consiste à ne jamais traiter séparément telle ou telle religion, par exemple se focaliser sur les manifestations de l’islam radical, même si l’actualité pourrait nous y éconduire.
Je considère que les formes intégristes des religions, catholique protestante, judaïque, musulmane, sont de même nature, même si elles ne sont pas, évidemment, d’égale gravité et de mêmes conséquences. Chacune d’entre elles exprime le refus de l’Autre, de son égale dignité, quelle que soit sa croyance, son statut social, ses origines ethniques. J’ai bien dit : tous les intégrismes partagent la même nature, la même volonté de discrimination ou de domination. Mais je ne confonds évidemment pas les manifestations de ce sectarisme. Entre les massacres perpétrés par des fanatiques musulmans ou hindouistes, sur d’autre population, qui ne partage pas de croyance, et les cortèges de la Manif dite pour tous, bénis par les dignitaires de l’Église catholique, il y a évidemment une différence fondamentale, celle du sang versé.
Mais les homosexuels, ainsi visés, en France, ne sont-ils pas menacés dans leur liberté ou dans leur vie sous d’autres régimes ? Et il ne faudrait pas s’exonérer trop facilement des pages sombres de notre histoire, celles de l’Inquisition ou des massacres des cathares ou des protestants par l’armée du Roi, à la demande du pape.

- Les idées-forces sur lesquelles j’ai bâti […] la collection Débat laïques, et le site du même nom.

La troisième règle, c’est d’avoir une vision historique, et non figée, de la Laïcité, de considérer qu’il s’agit d’un concept en mouvement, épousant les évolutions de notre société. J’ai l’habitude de le définir ainsi : C’est un processus historique, de longue durée, multiforme, et par nature inachevé. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas considérer comme des héritiers, dans ce domaine. Ou, plus exactement, si héritage il y a, il nous appartient de le faire fructifier pour le transmettre plus riche encore à nos enfants.
Voilà les quelques idées-forces sur lesquelles j’ai bâti peu à peu mes interventions, mes livres, la collection Débat laïques, et le site du même nom. Ce sont-elles que nous allons retrouver dans un survol de l’ouvrage : La Laïcité, défi du XXIe siècle.

La Laïcité, défi du XXIe siècle.

Sommaire

Cet ouvrage sur le concept de « Laïcité – séparation », une exception française à valeur universelle

  • Expose l’histoire de la Laïcité depuis la Révolution et la Déclaration des droits de l’Homme (1789) jusqu’à la loi Taubira (2013) et la Fin de vie (2015), en passant par la IIIe République, son âge d’or, avec la laïcisation de l’école (lois Ferry-Goblet : personnel enseignant et programmes), ainsi que de tous les agents de la Fonction publique. [Chapitres 1-3]
  • Replace le vote de la loi de 1905 dans le contexte politique de l’Affaire Dreyfus : sauver la République face à l’alliance des monarchistes et bonapartistes, s’appuyant sur une Église violemment hostile à la démocratie et, de surcroît, antisémite. [Chapitre 4]
  • Définit l’originalité de la Laïcité-séparation à partir d’une analyse précise des quatre premiers Articles de la loi de 1905, clé de voûte de la liberté absolue de conscience et de la neutralité de l’État [Chapitre 5].
  • Souligne la phobie des tous les intégrismes religieux à l’égard de la sexualité et place la Laïcité au cœur du combat pour l’égalité des droits des femmes et des minorités sexuelles. [Chapitre 6]
  • Inscrit le droit de mourir dans la dignité et de maîtriser sa Fin de vie dans une histoire longue et inachevée : municipalisation des cimetières, laïcisation du système de santé, reconnaissance officielle des obsèques civiles, proposition de loi Caillavet, lois Leonetti-Claeys. [Chapitre 7]
  • Réaffirme la validité de la loi de 2004, dite « Loi sur le voile islamique », la replace dans une continuité avec lois Ferry-Goblet sur l’École publique laïque, et définit une règle de conduite par rapport au « défi républicain » que représente la nouvelle « question religieuse » liée à l’islam radical (ou islamisme). Insiste sur un point capital : refuser tout recul de l’égalité des droits des femmes. [Chapitre 8]
  • Propose un nouveau concept : le « Bloc législatif de laïcité » pour rendre compte d’un processus historique, de longue durée, multiforme et par nature inachevé. Faute d’une prise de conscience de cette dimension se développent les idées fausses et les incompréhensions. [Chapitre 9]
  • Réfute les arguments des « Accommodants », qui prônent le « Retour du religieux » dans la sphère publique. Et dénonce la dérive de ceux qui, en raison d’une attitude « compassionnelle » ou culpabilisante, à l’égard de citoyens de confession ou de culture musulmane, mettent en danger le statut de l’École publique, la mixité dans la vie quotidienne, le fonctionnement de l’hôpital, etc. Ils sont les adversaires déguisés de la loi de 1905 et les responsables d’une régression communautariste. [Chapitre 9]
  • Inscrit la Laïcité, « exception française », dans le mouvement de sécularisation caractéristique de la civilisation occidentale et des aspirations démocratiques et féministes un peu partout dans le monde, y compris au Proche-Orient. Souligne sa vocation universelle. Propose l’Union européenne comme horizon immédiat du combat laïque. [Chapitre 10]

Il est tout entier bâti sur cette idée-force : « Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours » , et le principe selon lequel « La loi civile s’impose à la loi religieuse » dans la vie publique, tandis que la religion doit demeurer dans le domaine privé.
Paris, le 9-12-2019

Notes

[1Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, le 24 janvier 2015.

[2Préface de Maurice Agulhon, Éditions de Paris, 2004.

[3Collection Débats laïques, 2016.