MARIANNE

"Crise du Covid - Cimetière ...enceinte laïque et sacrée" ENTRETIEN

, par MARIANNE

Réfléchir au sort de nos défunts ? Regroupements confessionnels, dans les cimetières [...] cette mixité est-elle menacée actuellement ?


Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire Marianne
Publié le 29/04/2020 à 16:06

Dans un "Tract de crise", le haut fonctionnaire Didier Leschi
revient sur l’importance de la mixité religieuse dans les cimetières
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"La terrible crise sanitaire que nous sommes en train de vivre amène beaucoup d’entre nous à redécouvrir l’importance du cimetière à la fois comme enceinte laïque et sacrée", explique Didier Leschi dans son "Tract de crise", La République des défunts (Gallimard), publié le 24 avril dernier. Le haut fonctionnaire français spécialiste des questions relatives aux cultes et à la laïcité explique comment les cimetières sont devenus mixtes au XIXe siècle et pourquoi cette question est importante. Rencontre

Marianne : La crise du Covid-19 doit-elle nous amener à réfléchir au sort de nos défunts ?
Didier Leschi : Oui bien sûr, c’est une évidence. Cela l’est d’autant plus qu’il y a malheureusement une augmentation très forte de la mortalité, liée à la crise sanitaire.
En quoi la "mixité des défunts" est-elle une question républicaine ?
Les lois de 1881 et 1884, qui ont mis un terme à la séparation entre confessions dans les cimetières, sont des textes importants qui fondent notre laïcité républicaine. Avant il y avait une séparation physique, avec des murs et des haies et des entrées séparées. L’idée républicaine, c’est qu’il fallait mettre un terme à quelque chose qui symbolisait physiquement la poursuite des guerres de religions.

Pourtant, comme vous le rappelez il existe depuis 1975 des "carrés musulmans". Est-ce une entrave à la mixité ?
Non, ce n’en est pas une. Le terme "carré" est impropre. Ce qui a été organisé, à partir du pouvoir du maire, c’est la possibilité de faire des regroupements confessionnels, dans les cimetières. La limite – et c’est là où il faut faire attention au terme "carré" – c’est que la sépulture est individuelle. La crise ne doit pas servir de prétexte à la réorganisation d’un séparatisme, qui, par exemple, irait à l’encontre de l’existence du couple mixte. Chacun est en droit d’être enterré à côté de ses proches, même s’ils ne sont pas de la même confession.

Cette mixité est-elle menacée actuellement selon vous ?
Non, nous ne pouvons pas dire qu’elle est menacée. Mais il y a malheureusement de nouvelles pressions, qui se font jour avec l’augmentation du nombre de décès. Apparaît l’idée que des personnes de confession musulmane ne pourraient pas être enterrées selon leurs rites, parce qu’on les enterrerait à côté de tombes qui n’appartiendraient pas à des défunts de confession musulmane. Or, il n’y a pas de prescription religieuse qui oblige d’être enterré uniquement à côté de personnes de cette confession. Des personnes qui ont vécu toute leur vie en France, après avoir immigré, et qui ont fondé des familles ici, veulent être enterrées là où elles ont vécu. C’est important aussi pour leurs proches. C’est une preuve supplémentaire d’intégration. Mais nous sommes confrontés à des discours qui visent à dire que cet enterrement dans des cimetières communs – c’est la caractéristique des cimetières français – porterait atteinte à la confession du défunt, dès lors qu’elle se ferait dans des espaces mixtes.

Y a-t-il eu des déclarations de responsables musulmans sur ce point ?
Il y a eu une demande d’extension des "carrés musulmans" qui est légitime. Une question se pose néanmoins. S’il n’y a pas la possibilité foncière de le faire – ce qui est souvent le cas dans les zones urbaines denses – nous ne pouvons pas faire de l’existence de ce carré un préalable de la mise en sépulture du défunt.

De qui émanaient ces demandes ?
Il y a certains responsables de mosquées autour du CFCM et ceux qui souhaitent par tous les moyens attiser les tensions comme le CCIF et Marwan Muhammad.

La religion a notamment pour fonction de préparer à la mort. N’est-il pas normal de vouloir enterrer selon certains rites ?
Il ne s’agit pas d’empêcher les rites. Il s’agit de ne pas durcir les rites, alors que manifestement ce n’est pas une obligation. En tout cas, je n’en vois pas le fondement. Pour organiser une séparation absolue des défunts. Je rappelle qu’il y a des jurisprudences en la matière et des maires se sont déjà trouvés en difficulté, dans le cas de couples mixtes. L’intervention de religieux ne peut pas s’opposer par exemple au fait d’être enterré avec son conjoint, même quand il n’a pas la même religion que nous.

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