En condamnant ce qu’il appelait alors les « séparatismes » le Président de la république semblait avoir pris la mesure d’un danger qui menace l’unité nationale : le communautarisme, et paraissait vouloir engager une action déterminée contre cette gangrène.
Six mois après où en sommes nous ?
A dire vrai la situation n’est pas aussi claire qu’on pouvait l’espérer. Tout se passe en effet comme si l’affrontement entre deux positions, celle d’une laïcité accommodante ouverte de fait au communautarisme et celle d’une laïcité attachée à affirmer l’universalité de ses valeurs continuait à opposer deux factions au sein du gouvernement de la République sans que l’on puisse savoir qui de l’une ou de l’autre finira par l’emporter.
Cet affrontement conduit à une forme d’immobilisme. Les mots et les discours masquent l’absence de décisions réelles.
Les traces de cet affrontement sont perceptibles dans plusieurs dossiers.
La situation autour de l’Observatoire de la laïcité par exemple.
C’est le 13 décembre 2020 que Marlène Schiappa annonce : « J’ai fait des propositions au Premier ministre pour faire évoluer l’Observatoire de la laïcité, pour renforcer le rôle d’une structure qui ne serait pas forcément un observatoire, mais une structure qui porterait la parole de l’État. »
Plus de quatre mois plus tard, le 1er ministre n’a toujours rien dit sur ce sujet. Nous ne savons rien des dispositions qui seront prises.
Bien plus, si J.L Bianco n’a pas été reconduit dans son mandat de président de l’Observatoire, son bras droit, N. Cadène a été invité à poursuivre les missions de formation et d’information de l’Observatoire. Bien qu’étant officiellement contestée par la secrétaire d’État en charge du dossier, c’est bien la vision de la laïcité réduite à sa dimension juridique - laquelle permet par exemple le prosélytisme religieux lors de l’accompagnement de sorties scolaires – qui continue à être portée dans les interventions du rapporteur général d’un organisme dont on ne sait plus très bien s’il existe encore ou s’il n’existe plus.
Dans cette zone d’incertitude, les interventions en faveur du maintien de l’Observatoire se multiplient. Des universitaires sont appelés en renfort. Dans une tribune du 7 avril, 119 d’entre eux considèrent que « les menaces sur l’Observatoire de la laïcité cachent mal une dangereuse récupération idéologique ».
Ils déplorent qu’une « tendance s’exprime bruyamment pour élargir, sous prétexte de laïcité, le domaine d’application de la neutralité du seul État à la société en son entier. Cela pourrait inclure les usagers des services publics, les entreprises privées, les associations d’intérêt général, les voies publiques, les parents accompagnateurs de sorties scolaires… » « Cela reviendrait, ajoutent-ils, à faire des croyances et des convictions […] une affaire intime, condamnées à disparaître de l’espace démocratique. »
Je suis de ceux qui croyaient qu’une des caractéristiques majeures de la loi de 1905 était bien de placer les croyances dans la sphère de l’intime et de protéger les citoyens tant de l’obligation de croire que de celle de ne pas croire ! On ne peut donc que s’étonner de ce type de propos.
Selon les signataires de la tribune « Ces restrictions de l’expression des convictions dans l’espace public provoqueraient, par ricochet, la réduction progressive d’autres droits et libertés, qui nous sont pourtant si chers.
Cette nouvelle laïcité deviendrait un outil répressif, de contrôle et d’interdiction, en contradiction totale avec son projet initial et avec la loi de 1905 ».
Protéger l’espace publique de l’expression excessive des convictions ferait de la laïcité une menace pour les droits et libertés ! Quand on connaît un peu l’histoire de la laïcité et de sa mise en œuvre en France il faut oser signer un tel propos. Jean Baubérot (un des signataires de ce texte) ose !
Ainsi il y a tout lieu de craindre que le retard que subit la mise en place d’une structure nouvelle remplaçant l’Observatoire de la laïcité – des propositions ayant apparemment été faites depuis décembre – témoigne de ce qu’il n’y a pas de consensus au sein du gouvernement sur ce sujet et que l’arbitrage final est loin d’être rendu. La décision pourrait donc tout aussi bien basculer dans un sens qui ne serait pas celui que le discours des Mureaux semblait indiquer.
Un autre signe de ce combat interne à l’exécutif nous vient des péripéties qui entourent le lancement des « États généraux de la laïcité » par la secrétaire d’État, Marlène Schiappa. Ces péripéties sont indicatives que sont bien en compétition deux conceptions de l’action gouvernementale.
Une opération comme des États généraux telle qui ont été ouverts par une conférence rassemblant plusieurs personnalités (Henri Peña-Ruiz, Philippe Gaudin, Caroline Fourest, Souâd Ayada, Raphaël Enthoven, Gaspard Koenig) , ne se décide pas et ne s’organise pas à la dernière minute.
L’existence d’un tel projet était nécessairement connue de l’exécutif.
Dès lors, comment faut-il comprendre qu’ait pu paraître dans la presse l’information selon laquelle le Président aurait vivement contesté cette opération au cours d’un conseil des ministres auquel M. Schiappa ne participait pas puisqu’elle n’a que le rang de secrétaire d’État.
Quelles sont les bonnes âmes et les bons camarades qui ont lancé cette « information » d’ailleurs démentie le lendemain par le service de communication de l’Élysée ? Pourquoi une telle manœuvre ? S’agissait-il de décrédibiliser une opération certes encore très confuse dans ses objectifs et son fonctionnement mais qui aura le mérite de permettre d’exprimer et d’argumenter des analyses et des convictions ? Au bénéfice de qui et de quoi cette déstabilisation ?
On voit parfois dans ces États généraux une opération préélectorale. Peut-être ! Pourquoi alors le Président l’aurait-il critiqué ? Peut-être s’agit-il de tout autre chose. Sans doute un moment du sourd combat qui se conduit autour d’un projet laïque pour la France.
Quoi qu’il en soit, tout cela :
atermoiements autour de ce qui pourrait remplacer l’Observatoire de la laïcité, ambiguïté des objectifs des États généraux, il importe que les laïques attachés à la laïcité républicaine fassent preuve de beaucoup de lucidité collective et ne se laissent pas tromper quant aux combats à venir.
Ils ne doivent pas être simples spectateurs d’un débat mais ils doivent y prendre part pour faire valoir les valeurs d’universalisme dont ils sont porteurs.
Gérard BOUCHET
Valence 26.04.21