La guerre scolaire- Guy Georges et Alain Azouvi

, par Alain Azouvi, Guy Georges

"17% des élèves fréquente un établissement scolaire privé. 7 milliards d’euros sont votés tous les ans pour ces écoles, provenant des impôts de tous. En 2013, 487 communes n’ont que des écoles privées, méprisant ainsi le libre choix des familles et les lois de la République."

La guerre scolaire, celle que livre l’Église catholique à l’enseignement public, depuis le XIXe, n’intéresse plus beaucoup aujourd’hui la grande presse, ni les historiens de l’éducation.

Plus grave, les défenseurs de l’enseignement privé catholique trouvent de nombreux relais chez les dirigeants politiques, quand ils défendent les privilèges d’une école de classe, au détriment de l’école de tous. Aussi il faut remercier Guy Georges, grand syndicaliste enseignant, et Alain Azouvi, économiste, de rétablir la vérité historique, d’expliciter les techniques de dénigrement de l’école laïque utilisées par ses adversaires, et de montrer comment, depuis 1945, par un enchaînement de lois favorables à l’enseignement privé confessionnel, l’école de la République, a dû céder du terrain, au risque que s’accroisse la division sociale au sein de la nation. Refaisons avec eux le chemin, pour mieux comprendre les enjeux du présent.

Trois révolutions ont jalonné, au XIXe siècle, l’affrontement entre les Républicains, militants de l’école publique, et l’Église catholique : 1830, 1848 et 1871. A chaque fois il y a alliance des intellectuels libéraux, qui reprennent les idées de 1789, et du peuple, qui est confronté à la misère et poussé à la révolte. A chaque fois les Républicains perdent la partie et les monarchistes ou les bonapartistes, alliés à l’Église, imposent l’ordre moral et la toute-puissance de l’enseignement privé confessionnel. Victor Hugo dénonce avec force le "Parti clérical". En 1850, au lendemain de l’élection de Louis Napoléon Bonaparte à la tête de l’éphémère Seconde République, l’Église tient sa revanche et elle fait voter la loi Falloux, qui livre l’enseignement laïque et les enseignants à la tutelle cléricale pendant 30 ans. « Dieu dans l’éducation. Le pape à la tête de l’Église. L’Église à la tête de la civilisation », proclame le comte Alfred de Falloux, nouveau ministre de l’Instruction publique.

Après cette période sombre s’ouvre, enfin, la III° République : les lois Ferry – Goblet, entre 1879 et 1886, instituent l’enseignement gratuit, obligatoire et laïque, et ils confient l’école aux "Hussards de la République". Contrairement à la IV° et à la V° République, la III° République tiendra bon sur ses principes républicains et universalistes.Retour ligne automatique
Mais la guerre efface tout. En 1940, l’État Français sonne le glas de la République et le parti clérical s’épanouit avec la proclamation de "l’Unité morale", déclarée par Pétain. L’enseignement privé exerce à nouveau sa domination sur l’école publique. Après la guerre, les subventions à l’enseignement confessionnel, déjà importantes, sont renforcées par les lois Marie et Barangé. Rien n’arrête l’avidité du parti clérical qui, en 1959, fait adopter la loi Debré malgré la pétition qui a recueilli 11 millions de signatures représentant plus de la moitié du corps électoral.

Cette loi fracture l’unité et l’indivisibilité de la République. Alors que les élus républicains auraient dû réagir, ils paraissent s’être endormis sur les lauriers de la loi de 1905. Force est de le constater, la gauche au pouvoir ne remet jamais en cause les lois anti laïques adoptées par la droite. Elle les aggrave, même parfois, comme c’est le cas aujourd’hui à propos de la loi Carle. Pour saper l’école publique, l’activisme clérical s’appuie sur les plus hauts dirigeants de l’État, tel Valéry Giscard d’Estaing qui voulait réduire de 50% la population scolaire de l’enseignement public, ou encore Nicolas Sarkozy, qui a asphyxié le fonctionnement de l’Éducation Nationale en réduisant les moyens (fermeture de 80000 postes, suppression des IUFM et des RASED). Cette guerre que mène sans relâche l’Église aboutit dans certaines régions à l’exclusion de l’école de tous : 487 communes, essentiellement dans l’Ouest, sont dépourvues d’école publique, alors qu’il y a une école privée. Où est la liberté de choix si chère à l’Église ? Pourtant la Constitution affirme que "l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État".

Aujourd’hui, l’Église gère 7354 établissements scolaires, qui perçoivent de l’argent de l’impôt de tous les contribuables, soit près de 7 milliards € par an. Il est temps de revenir aux fondamentaux en citant Jaurès, pour qui l’école n’est pas un lieu d’enfermement : « L’école ne continue pas la vie des familles, elle inaugure et prépare la vie des sociétés, disait-il dès 1886 ». Il est temps de dénoncer le bourrage de crâne des adversaires , selon lesquels : « La laïcité serait une machine de guerre contre la religion », ou encore, autre contre vérité, « La loi de 1905 serait inadaptée du fait de la présence de l’Islam, elle devrait être amendée ». Au cœur du conflit, il y a la volonté de restreindre la liberté de conscience à la seule liberté de religion. C’est ce que Sarkozy voulait faire en installant les « Conférences départementales des libertés religieuses », dont les non-croyants étaient exclus. Les Républicains et, en particulier nos élus, prennent-ils conscience que la laïcité est un combat permanent ?

Depuis 1966 j’ai fait partie de la FEN dans le courant UID (Unité, Indépendance et Démocratie). Les querelles de tendances, notamment avec UA (Unité et Action) ont été préjudiciables à l’école laïque. Nos adversaires UA me paraissaient plus préoccupés par leurs revendications corporatistes et élitistes que par le devenir démocratique du système éducatif. J’ai participé à tous les combats pour assurer la promotion de l’école de tous. Le projet syndical de démocratisation de l’école a été proposé aux politiques, malheureusement il n’a pas souvent trouvé un écho favorable. J’ai même entendu un représentant du pouvoir dire que nous étions trop nombreux à l’Éducation Nationale pour envisager une réforme et une revalorisation des personnels.

La reconquête laïque sera longue. Les incantations ne suffisent pas, le Serment de Vincennes est toujours d’actualité. Le Parti clérical entend protéger ses acquis, fort du retrait de la loi Savary contre laquelle s’était mobilisé un million de manifestants et du succès des manifestations contre le mariage pour tous. Il n’est pas question pour les laïques de baisser les bras. Ils doivent s’investir dans la mise en œuvre des avancées permises par l’actuel Gouvernement. En effet, l’espoir réside dans la loi d’Orientation et de Programmation pour la Refondation de l’école lancée, en 2013, par Vincent Peillon et poursuivie avec courage et obstination par Najat Vallaud-Belkacem, même si elle heurte les conservatismes cléricaux et ultralibéraux. Cette loi réjouit le syndicaliste que je suis resté, car c’est la première fois que les élèves de maternelle suivent un cycle d’enseignement à part entière, alors que l’ancien ministre Darcos s’en moquait et aggravait les conditions de travail des enseignants. C’est la première fois que l’école et le collège vont pouvoir communiquer grâce à un « Conseil école-collège » qui va faciliter le parcours de la réussite scolaire de l’élève. C’est la première fois que les élèves de 6 à 16 ans à la rentrée 2016 auront accès au socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui constitue la base des enseignements de l’école élémentaire et du collège. C’est la première fois que les horaires de classe sont adaptés aux capacités d’apprentissages des élèves. C’est la première fois qu’avec l’appui de l’État les communes peuvent proposer des activités péri-éducatives aux enfants. C’est la première fois que les programmes donnent plus de liberté aux enseignants pour atteindre des objectifs suscitant l’intérêt des élèves, sur de véritables enjeux intellectuels, riches de sens et de progrès. C’est la première fois que des « réservistes », nouveaux ῝Hussards de la République῞ issus de la société civile, soutiennent l’école publique.

En quatre ans la priorité à la démocratisation de l’école publique a été menée en concertation avec les partenaires ; elle est appliquée avec méthode, rigueur et avec une exigence de qualité. Le nombre des élèves « décrocheurs » a nettement reculé. C’est un signe que la Refondation porte ses fruits.

Aussi, le futur ne doit plus effacer le passé ; les conquêtes de l’école laïque doivent être préservées et développées. L’élection présidentielle de 2017 ne doit pas entraver la démocratisation de l’école publique si chère à Jean Zay. Retour ligne automatique
C’est à cette conclusion, ou plutôt à cette conviction, que nous conduit la lecture de l’ouvrage indispensable et passionnant de Guy Georges et Alain Azouvi.