Gérard Bouchet - Strasbourg, vitrine de l’islam politique ?

, par Gérard Bouchet

"Une volonté hégémonique de l’islam du président Erdogan, [...] La majorité municipale écologiste de Strasbourg s’appuyant sur des considérations tout à fait infondées [...] "L’hypocrisie ou la naïveté des autorités locales de Strasbourg

La majorité municipale écologiste de Strasbourg a voté le principe d’une subvention pour la construction d’une mosquée. Ce n’est pas une simple anecdote.
Cette décision soulève des questions complexes et comporte des risques qui ne doivent échapper à personne. Elle illustre en effet la volonté hégémonique de l’islam du président Erdogan, l’hypocrisie ou la naïveté des autorités locales, les contradictions de la situation française, et s’appuie évidemment sur des considérations tout à fait infondées.
Observons tout d’abord que le choix turc de construire la plus grande mosquée d’Europe à Strasbourg n’est pas innocent. Créer au cœur de l’Europe, à deux pas du Parlement européen, la plus grande mosquée du continent vise de toute évidence à montrer aux yeux du monde la volonté et la capacité conquérante de l’Islam politique.
Strasbourg devient ainsi manifestement le centre de la stratégie d’entrisme du président turc en France et en Europe.
Il suffit pour en être persuadé de se souvenir du meeting qu’Erdogan a tenu dans cette ville, le 4 octobre 2015, meeting intitulé « rencontres citoyennes contre le terrorisme » qui visait essentiellement à accuser le « terrorisme » kurde et qui a rassemblé plus de 12 000 personnes.
On sait par ailleurs qu’il existe déjà une grande mosquée à Strasbourg mais que celle-ci est contrôlée par le Maroc. Elle a été inaugurée en 2012 en présence d’Emmanuel Valls alors ministre de l’intérieur qui, à cette occasion, a fait un discours vantant les mérites du Concordat qu’il aurait tout lieu de regretter aujourd’hui.
La nouvelle mosquée turque témoigne donc de la volonté du président Erdogan de se considérer - et de se voir reconnaître - comme le nouveau calife protecteur des musulmans d’Europe. Le roi du Maroc, commandeur des croyants, est quant à lui renvoyé à un rôle second.
Personne ne doit être dupe de l’enjeu politique de cette affaire que ce soit au niveau de l’Europe ou à l’intérieur du monde musulman.

Notons ensuite que les acteurs locaux qui agissent pour le compte du président turc sont deux associations : le CCMTF, Comité de coordination des musulmans turcs de France et Milli Görüs. Ces deux associations sont, de notoriété publique, très proches des Frères musulmans. Ces associations refusent de signer la charte de l’islam proposée, sur incitation du gouvernement français, par le Conseil Français du Culte Musulman signifiant par là qu’elles n’acceptent pas que la loi républicaine prime sur la loi « divine » dans les affaires de ce monde. Les élus strasbourgeois ne peuvent pas l’ignorer. Méconnaître cette réalité relève d’un coupable aveuglement. ou d’une grossière hypocrisie,
Financer des actions conduites par ces associations c’est, qu’on le veuille ou non, cautionner de fait des comportements ouvertement et résolument anti-républicains.
Les élus strasbourgeois ne devraient pas ignorer non plus que le concordat de 1801, encore en vigueur en Alsace Moselle, n’a rien à voir dans cette affaire. S’appuyer sur le concordat pour justifier la subvention est une escroquerie intellectuelle. D’une part, ce concordat concerne exclusivement l’Église catholique. D’autre part ses 17 articles ne prévoient rien en matière de financement lors de la construction des lieux de culte. L’article XII se contente d’indiquer que « Toutes les églises métropolitaines, cathédrales, paroissiales et autres non aliénées, nécessaires au culte, seront mises à la disposition des évêques ». Contrairement à ce que l’on entend ici ou là, le concordat, même élargi à l’islam, ne peut donc pas être évoqué pour justifier un financement public lors de la création d’un nouveau lieu de culte, qu’il soit musulman ou d’une autre confession.

En fait, c’est uniquement parce que la loi de Séparation ne s’applique pas qu’il est possible de financer sur fonds publics un édifice religieux. L’État n’étant pas séparé des Églises en Alsace Moselle, il est licite – mais évidemment non obligatoire – de financer la construction de lieux de culte. Mais c’est un choix politique des assemblées délibérantes de le faire ou non. Elles en portent l’entière responsabilité.

Réclamer que la loi commune soit appliquée sur l’ensemble du territoire national apparaît donc d’une urgente nécessité pour régler ce type de problème et pour fermer la porte aux revendications que les groupes religieux pourraient avancer.

Il faut ensuite comprendre que l’argument utilisé par la mairie de Strasbourg pour justifier une subvention de 2,5 millions pour la construction de cette mosquée turque relève de la mystification. Depuis 2008, 22 millions auraient été versés aux différents cultes prétend madame le maire, les 2,5 millions ne seraient que la marque du souci de garantir l’égalité de traitement entre les musulmans et les autres confessions bénéficiaires des dotations municipales.
On retrouve ici le propos classique – mais fallacieux - qui consiste à prétendre qu’être laïque c’est tenir une politique d’égalité entre les cultes. Il faudrait donc consentir à tous ce que l’on accorde à quelques uns.
Certes la laïcité c’est bien l’égalité mais dans la non reconnaissance des cultes et non dans un financement égal pour tous. La République ne reconnait ni ne salarie aucun culte (Article 2 de la loi de Séparation). On n’insistera jamais assez sur le terme aucun ! Il n’a jamais été question pour les laïques historiques de financer tous les cultes de la même manière. La règle constitutionnelle est de n’en subventionner aucun.
Et c’est ici que saute aux yeux la faiblesse majeure dans laquelle la politique concordataire suivie de fait depuis des décennies par les gouvernements français, de droite et de gauche, place l’État dans une situation difficile. En reconnaissant de droit en Alsace Moselle les trois cultes : catholiques, réformé et juif et en reconnaissant de fait le culte catholique sur l’ensemble du territoire (loi Debré, accords Lang Cloupet), la République française se met elle-même en difficulté face aux revendications des groupes qui entendent représenter l’islam. Comment justifier qu’on refuse aux musulmans les bénéfices d‘une situation que l’on consent à d’autres ?
La question du subventionnement d’un édifice cultuel par la collectivité révèle une nouvelle fois qu’à ne pas appliquer la loi de 1905 dans toutes ses dimensions en ce qu’elle crée les conditions de la concorde civile, la République laïque se place dans des situations qui peuvent s’avérer extrêmement dangereuses.

Les défenseurs de la laïcité ne doivent pas prendre cette affaire à la légère.
Il faut en expliquer et en faire comprendre les enjeux et en faire un point d’appui pour réclamer que l’Alsace-Moselle soit enfin placée sous le régime de la loi commune : la loi du 9 décembre 1905.
Valence le 27.03.2021
Gérard Bouchet
Auteur de Laïcité-séparation ou régression néo-concordataire ? collection Débats laïques, L’Harmattan, novembre 2020, et de La Laïcité en question(s), même collection, 2018

Lire la préface de Gérard Delfau


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