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« L’école républicaine » signifie-t-elle encore quelque chose ?
7 SEPTEMBRE 2017 Frédérick Casadesus
Alors que s’amorce l’année scolaire, on peut s’interroger sur ce qui perdure du modèle traditionnel de l’école républicaine.
Les pleins et déliés que traçaient les élèves ajoutaient à la lettre un désir de rigueur. L’école inventée par la IIIe République enseignait aussi par des gestes une ambition collective.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Si les pouvoirs publics affirment à tout bout de champ que cette institution demeure un pilier de l’intégration républicaine, chacun sait qu’elle a perdu depuis longtemps le monopole de la diffusion du savoir et qu’elle peine à guider tous les citoyens vers une route commune. En dépit de ce contexte délicat, l’école de jadis a pourtant bien des choses à nous apprendre.
C’est le protestant Ferdinand Buisson qui fixa les grandes orientations de l’enseignement primaire obligatoire et gratuit. Le Dictionnaire de pédagogie, qu’il fit rédiger pour aider les premiers instituteurs, est aujourd’hui réédité – dans une version abrégée, puisque ce monument contenait des dizaines de milliers de pages. « Les républicains avaient une image fondatrice de l’école, explique l’éditeur et historien Pierre Nora. Ils souhaitaient faire naître un enseignement primaire arraché à l’Église, obligatoire pour tous, donc de concevoir un instrument à la fois pratique, politique, historique et culturel. »
Liberté d’esprit
Un tel programme – à rebours de ce que pensent à la fois les nostalgiques et les partisans de la table rase – était fondé sur l’éclectisme des thèmes abordés, l’appropriation de l’ensemble de l’histoire de France, mais aussi sur l’initiative des enseignants. « Quand on évoque l’école d’autrefois, l’image surgit d’instituteurs faisant apprendre par cœur des chronologies, des textes… Pas du tout !, remarque Pierre Nora. On est frappé de constater qu’à travers ce Dictionnaire, se posent, avec beaucoup d’ouverture d’esprit, tous les problèmes qui concernent encore aujourd’hui à l’éducation d’un enfant. Les articles consacrés à la participation des enfants, à l’enthousiasme, à l’ennui, à l’autorité, passionnants, montrent au contraire à quel point l’association créative des enfants était sollicitée, souhaitée, considérée comme essentielle. »
Si ce monument a pu voir le jour aussi vite, cela tient à l’œuvre entreprise durant les années précédentes. « C’est Napoléon qui a fait naître notre système éducatif comme instrument de fondation d’une nation républicaine, rappelle Bernard Toulemonde, inspecteur général honoraire de l’éducation. François Guizot a repris le flambeau par la loi de 1833, qui demandait la création d’une école primaire par commune et d’une école normale par département. Les républicains de 1881 ont donc approfondi et généralisé des principes élaborés par leurs aînés. »
Le pédagogue Philippe Meirieu note que la République a fourni un effort sans précédent pour atteindre un objectif civique et politique : « Scolariser tous les enfants du peuple en leur donnant l’ensemble des références et “savoirs de base.” »
Malgré la saignée de la Grande Guerre, malgré l’occupation allemande et le régime de Vichy, les valeurs de l’école républicaine ont infusé l’ensemble de la société française.
Ainsi le respect des valeurs et des principes affirmés dans les salles de classe est-il devenu ce que l’on pourrait appeler une seconde nature.
L’historien Jean-François Sirinelli, dans le livre qu’il consacre à la génération des baby-boomers, estime que si les étudiants contestataires ne sont pas allés jusqu’au bout de leur logique révolutionnaire en mai 68, s’ils ont laissé les institutions fonctionner, c’est parce qu’ils étaient imprégnés par les leçons apprises en classe : « La mémoire dominante du plus grand nombre est nourrie d’une culture républicaine tissée par les faits de l’histoire nationale enseignée par l’école. Certes, on l’a vu, cette culture républicaine peut paraître ambivalente dans son rapport avec la légitimité politique d’un régime : le souvenir des barricades du XIXe siècle entretient chez quelques-uns l’idée que le tribunal de la rue, en certaines circonstances, peut prévaloir. Mais cette culture républicaine a, de longue date, sécrété son antidote : depuis mai 1877, l’urne doit l’emporter sur la rue et toute atteinte à un régime représentatif est une transgression. »
L’évolution des mœurs et la mondialisation des échanges ont contraint les pouvoirs publics à modifier les programmes, adapter l’école républicaine. Les nouvelles pédagogies mises en place depuis trente ans visent autant à calmer les inquiétudes des parents face à l’échec scolaire – et face à la peur du chômage – qu’à prendre en considération l’hétérogénéité des élèves. « Je suis bien persuadé que la plupart des instituteurs ou des professeurs, aujourd’hui, aiment leur travail et l’exercent avec talent, reconnaît Pierre Nora. Chacun sait pourtant que nombre de jeunes, hélas, ne maîtrisent pas la langue française de manière à peu près correcte. Au temps de Ferdinand Buisson, l’éducation prioritaire était vraiment prioritaire. Aujourd’hui, les pouvoirs publics passent leur temps à dire qu’elle est prioritaire, mais je ne suis pas certain qu’elle tienne la place centrale qu’on lui attribue. »
L’impératif de performance
L’extension dans les classes primaires du clivage entre l’éducation et l’instruction, que traduit le terme de « professeur des écoles », joue son rôle. « Autrefois, tout le monde était éduqué à l’école puis recevait des connaissances particulières dans les structures du second degré, rappelle Bernard Toulemonde. Les instituteurs apprenaient un corpus de connaissances générales et la manière de tenir une classe, poser sa voix, faire preuve de psychologie. Désormais, quand un instituteur a des problèmes de discipline, il envoie l’élève à la vie scolaire parce qu’il pense d’abord à transmettre un savoir. » Bien sûr, on apprend toujours l’appartenance à une communauté nationale, mais cette ambition doit faire la place à des impératifs de performance individuelle.
Cependant, il est possible de concilier les valeurs de l’école républicaine et l’ouverture au monde. « Notre pays reste très attaché aux établissements scolaires qu’il a disséminés à l’étranger, fait observer Philippe Joutard. Pourquoi ? Parce que nos dirigeants pensent toujours que l’école est le meilleur moyen de développer la culture française. Or, dans ces établissements, pour attirer les élèves qui ne sont pas français, nous avons bien été forcés de nous adapter. Eh bien, plutôt que de geindre sur la prétendue disparition de notre modèle d’école, nous pourrions nous inspirer de cet exemple, particulièrement vivace. » Et l’historien d’ajouter que la tradition n’est pas l’adversaire de la modernité. Relire Ferdinand Buisson, ce n’est pas verser dans la nostalgie, mais s’inspirer de ce que le passé nous a légué de meilleur.
À lire
DICTIONNAIRE DE PÉDAGOGIE
Ferdinand BUISSON
Préface de
Pierre NORA
Le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson est l’oeuvre d’une génération.
Parution : 24 Août 2017
Format : 132 x 198 mm
Nombre de pages : 1216
Prix : 32,00 €