Editorial

Crèches : NON ! il ne fallait pas ouvrir la boîte de Pandore. A propos du communiqué du Conseil d’Etat sur les crèches

, par Gérard DELFAU, Guy Georges

Le Conseil d’Etat vient de prendre une décision qui affaiblit la laïcité et ouvre la porte à l’introduction des emblèmes religieux dans les mairies et autres bâtiments publics. Gérard Delfau

Le Conseil d’Etat vient de prendre une décision qui affaiblit la laïcité et ouvre la porte à l’introduction des emblèmes religieux dans les mairies et autres bâtiments publics. En effet, il juge que l’installation d’une crèche par une collectivité publique dans un bâtiment public est possible quand la crèche présente un caractère culturel, artistique ou festif. En revanche, elle est interdite si elle exprime la reconnaissance d’un culte ou marque une préférence religieuse. Or, l’épiscopat lui-même vient de rappeler cette évidence : la crèche de Noël est à la fois un signe religieux et culturel. On ne peut dissocier l’un de l’autre.

Cet arrêt du Conseil d’Etat est inacceptable en soi, et il est catastrophique au plan politique :

1. Il va provoquer une surenchère entre les religions : pourquoi refuser à l’une ce que l’on concède à une autre ? Intégristes musulmans, mouvements juifs ultra-orthodoxes et fondamentalistes protestants, entre autres, ne manqueront pas d’invoquer cet arrêt pour justifier leur demande d’une présence dans les espaces de la Fonction publique, et demain dans les contenus de l’enseignement public. Il ouvre la boîte de Pandore.
2. Il fragilise la loi de 2004, portant interdiction des signes religieux à l’école, durement attaquée par les Eglises et structures confessionnelles, et il affaiblit sur ce point la position de la France dans les instances internationales.
3. Il offense les athées, les agnostiques, les libres penseurs et plus généralement les laïques, qu’ils soient croyants ou non croyants, à qui il refuse le droit à la neutralité de la Puissance publique, considéré comme un acquis depuis plus d’un siècle. Au fond, il les considère comme des citoyens de seconde zone, à partir d’une prétendue tradition ou de considérations qui n’ont aucun fondement juridique : qu’est-ce que le « culturel » et le « festif », au regard du principe républicain de liberté de conscience ?
4. Il offre à des élus de droite extrême et d’extrême droite le prétexte à une agitation politicienne, qui nourrira plus encore le cancer du populisme, le jour même où il remporte une inquiétante victoire aux Etats-Unis, et alors que s’ouvre chez nous une délicate période électorale.

Bref, bien loin d’apaiser les contentieux, il va les multiplier au bénéfice d’appareils confessionnels et de dirigeants politiques sans scrupule.
Décidément la Haute Juridiction vient de prendre une décision qui méconnaît notre Histoire, qui manque de lucidité sur l’état de la France, et qui sera source de discordes civiles.
Gérard Delfau
Ancien sénateur. Directeur de la collection « Débats laïques » (www.debatslaiques.fr)
09-11-2016

Guy Georges, ancien syndicaliste enseignant et coauteur de La guerre scolaire, Éditions Max Milo, avait publié en 2011 un commentaire éclairant que nous reprenons ici, à propos de 5 arrêts du Conseil d’État. Il analyse le glissement vers un jugement des contentieux au cas par cas, en opportunité, et non selon la loi de 1905, elle même. Son texte devrait être médité par tous les militants qui veulent comprendre où se situe le danger d’une généralisation des "accommodements [prétendus] raisonnables", avec au bout du compte le retour à une logique concordataire. 
Gérard DELFAU

Quelques réflexions sur les cinq décisions arrêtées par le Conseil d’État le 16 juillet 2011concernant l’application de la loi du 9/12/1905
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Le Conseil d’État les commente dans un communiqué de presse qui suscite les réflexions suivantes.

Le fil conducteur de la position adoptée par le juge administratif suprême (Section du Contentieux) est dans son titre : "interprétation et conditions d’application de la loi du 9 décembre 1905"
Ce sont des directives adressées aux Cours Administratives d’appel dont il a la tutelle, en réaction à des jugements de celles-ci qu’il estime ou mal fondées ou erronées.
L’orientation de ces directives est claire. Il ne s’agit pas de les fixer par rapport au principe laïque de séparation des Églises et de l’État, mais d’adapter la loi de 1905 aux comportements religieux d’aujourd’hui. Le Conseil d’État se situe ainsi dans l’air du temps, en particulier la démarche de l’UMP et du Chef de l’État
L’interprétation porte sur deux aspects.
1- Devant le nombre de textes législatifs applicables qui ont fait suite à cette loi, le Conseil d’État considère qu’elle "doit être articulée avec d’autres législations qui y dérogent ou y apportent des tempéraments".
En clair, cela signifie pour le Conseil d’État que la loi du 9 décembre 1905 est une loi ordinaire et n’a pas la qualité de constitutionnalité que lui donne l’interprétation laïque. Il rejoint en cela le rapport Machelon.
2- Il glisse (curieusement !) des restrictions "édictées dans l’intérêt de l’ordre public" (art. 1er de la loi de 1905) vers la notion apparemment nouvelle d’ « intérêts publics locaux » en relation avec des cultes.

Ces intérêts publics locaux, dépendant de situations cultuelles deviennent l’élément déterminant de la décision à prendre..

Certes, il est recommandé d’accompagner toute participation des collectivités territoriales, de la signature d’une convention ou d’un contrat d’utilisation dont les clauses tarifaires doivent être conformes aux conditions du marché et ne pas constituer une libéralité à un culte.
Néanmoins, les critères susceptibles de motiver une décision apparaissent très vagues et sources d’interprétations subjectives, donc difficilement appréciables.
Ainsi peut-on lire, à partir du cas de l’équipement de l’église de Fourvière par un ascenseur :
"l’équipement ou l’aménagement projetés doivent présenter un intérêt public local, lié notamment à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique du territoire de la collectivité et il ne doit pas être destiné à l’exercice du culte"
De telles lignes directrices ne manqueront pas d’entraîner des appréciations diverses et des décisions inégales . Quels critères ?. Qui en fixe le cadre, les limites ? A partir de quels critères « touristiques » et « culturels » une communauté religieuse sera fondée à Lourdes, Lisieux ou autre lieu de pèlerinage, d’obtenir un financement de ses activités par la Commune ou une autre collectivité ?.

Les décisions du Conseil d’État ne satisfont pas son intention de clarifier les conditions d’application de la loi fondatrice de séparation des Églises et de l’État.
Par contre, elles éclairent les menaces qui l’environnent par les temps présents.
GUY GEORGES


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Voir en ligne : Les pièces du dossier - Conseil d’Etat.