Conférence du concordat et de la tentation concordataire. Le concordat n’est pas un modèle pour la France. PAGE 2/2

, par Michel Seelig

DU CONCORDAT ET DE LA TENTATION CONCORDATAIRE.

 
Je réponds par avance à certaines objections que l’on pourrait me faire :

  • D’abord, l’unicité parfois affirmée du droit local. Si l’on touche au Concordat ou à l’enseignement religieux, c’est tout l’édifice qui serait menacé. Juridiquement cela n’a aucun sens. Les différents aspects du droit local sont totalement indépendants les uns des autres. Certains ont déjà été supprimés ou au moins nettement réduits depuis 1918, sans aucune influence sur l’ensemble
  • On m’objecte aussi le consensus régional en faveur du statu quo. Mais est-ce que l’on a réellement posé les vraies questions à la population, après l’avoir réellement informée de tous les aspects du dossier ? Peut-on croire que la population de nos trois départements est radicalement différente en matière religieuse que celle du reste de la France, où plus de la moitié des personnes se déclarent athées, agnostiques ou indifférentes au fait religieux ? Faut-il ignorer comme indicatif le fait que la participation à l’enseignement religieux à l’école chute régulièrement : aujourd’hui à peine plus de 50 % au primaire, 20 % au collège, moins de 10 % au lycée ?

Alors, oui, j’ai du mal à répondre à une affirmation, celle exprimée par exemple par Roland Ries… dans un colloque de l’IDL en 2014 : « …au même titre que le bilinguisme… le Concordat… constitue à présent un élément essentiel de l’identité alsacienne. Cet attachement… a en quelque sorte valeur de socle culturel et sociétal »…
J’ai du mal à répondre d’abord parce que je ne suis pas alsacien et que la Moselle n’est pas alsacienne. Ensuite, je l’avoue, personnellement je comprends mal ce besoin, dont je ne nie pas la réalité, de se réclamer d’une identité locale. J’ai coutume de dire que mon identité personnelle est constituée de mes divers attachements, familiaux, amicaux, politiques, associatifs, culturels, voire gastronomiques … mais que tout cela s’inscrit concrètement sur un carton plastifié dans mon portefeuille où est inscrit République Française !
Cela me conduit à aborder la seconde partie de mon exposé : la tentation concordataire en France.

Cette tentation n’est pas nouvelle, même si elle est fortement réaffirmée aujourd’hui. Elle peut prendre plusieurs formes qui, toutes cependant, mettent en cause la loi de 1905 :
Rappelons déjà qu’Émile Combes, à qui l’on attribue souvent à tort la loi de Séparation, était pour le maintien du Concordat appliqué de façon stricte, afin de ne pas laisser de liberté à l’Église et toujours la contrôler.

Depuis une dizaine d’année, le discours a évolué. Au cours des années 2000, le ton était plutôt compassionnel : l’islam reconnu comme deuxième religion pratiquée en France ne bénéficie pas des avantages historiques d’autres religions, surtout le catholicisme.
Monsieur Grosdidier, alors député-maire UMP d’une commune de Moselle à forte population de culture musulmane, dépose en 2006 une proposition de loi « visant à intégrer le culte musulman dans le droit concordataire d’Alsace et de Moselle ».
Il explique dans l’exposé des motifs que la loi de 1905 « refusant le financement public des édifices cultuels… a progressivement institué une inégalité de fait, notamment à l’égard des musulmans appelés massivement en France à partir des années 50. Cette inégalité est plus flagrante encore en Alsace-Moselle. » Élargir les avantages du Concordat serait là un moyen de rétablir une égalité entre diverses « communautés ».

Dans le même esprit, à l’automne 2005, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy confie à un universitaire, le professeur Machelon une mission qui doit répondre, je cite, à « la nécessité d’apporter, aujourd’hui, un certain nombre d’amendements au corpus des textes (loi de 1905, etc. ...) régissant l’exercice des cultes et leurs relations avec les pouvoirs publics. Je m’interroge tout particulièrement, écrivait le ministre, sur les modalités des relations entre les communes et les cultes, en ce qui concerne, d’une part, le régime de la construction et de l’aménagement des lieux de cultes et, d’autre part, la police spéciale des cimetières. […] Il en est de même du régime fiscal des cultes. Il me paraît important que cette réflexion, […] puisse conduire à des propositions opérationnelles passant, le cas échéant, par des ajustements législatifs et réglementaires. »
Il s’agissait de redonner plus de place aux religions dans l’espace public… Un peu plus tard au Latran, Nicolas Sarkozy, devenu président de la République vantera les mérites du curé supérieur à l’instituteur pour transmettre des valeurs et en Arabie Saoudite, à Riyad, il célèbrera (je cite) « le Dieu unique des religions du Livre. Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme ».

À l’évidence ces démarches avaient des visées électoralistes. Mais les responsables politiques ne cachent pas un autre objectif : instrumentaliser les cultes pour maintenir l’ordre public… On se souvient de la formule attribuée à Bonaparte : « Un curé ça vaut dix gendarmes » !

Le discours politique, celui de Monsieur Sarkozy en particulier, a ensuite fortement évolué. Aux présidentielles de 2012, il fait campagne contre le Halal … Mais vous le savez tous, la politique c’est l’art de gérer des contradictions. Je vais en présenter quelques exemples.

Je cite pour mémoire la formule extraordinaire de Monsieur Philippot candidat FN aux dernières régionales, qui déclarait vouloir « maintenir le concordat au nom de la tradition, ne pas l’étendre au nom de la laïcité ».
La droite traditionnelle n’est pas en reste. Ainsi, au lendemain des attentats de janvier 2015, on pouvait lire dans le Figaro que (je cite) « un groupe de travail doit être lancé sous la houlette des députés Gérald Darmanin et Henri Guaino […] La personnalité de Gérald Darmanin a été retenue notamment en raison de prises de position contre la laïcité dite “punitive”. Le député du Nord a émis l’idée d’une révision de la loi de 1905 dans l’objectif de créer un concordat entre la République et l’islam en France »…

Concordat … le mot est lâché ! Et « révision de la loi de 1905 » ne peut se comprendre ici que par suppression de son article 2 (non reconnaissance et non financement des cultes).
Mais, un peu plus tard, un autre porte-parole de Monsieur Sarkozy, Éric Ciotti critique une position il est vrai ambiguë de Manuel Valls et se dit (je cite) : « totalement opposé au financement public des mosquées ou de tout lieu de culte ».
Il est vrai aussi que le député niçois finance avec sa réserve parlementaire l’aménagement de plusieurs chapelles et qu’il milite pour l’inscription dans le marbre de la Constitution française des « racines chrétiennes » de la France…

Mais quittons les discours pour s’intéresser aux actes.

Après avoir signé le Concordat avec la Papauté, Napoléon Bonaparte a réglementé les Églises protestantes (les Actes Organiques) et a obligé les juifs à s’organiser. Ceux-ci au début XIXe siècle étaient relativement nombreux dans 4 régions. Ce qu’on appelait sous l’Ancien Régime la Nation juive alsacienne, la Nation juive lorraine (à Metz), la Nation juive dite portugaise (à Bordeaux et au Pays Basque) et la Nation juive avignonnaise (ou les juifs du Pape).
Ces diverses communautés avaient des pratiques culturelles et cultuelles différentes, et des attaches avec diverses communautés étrangères.
Sous la pression politique, elles acceptèrent de respecter le Code civil et donc de renoncer à leurs pratiques en matière juridiques, le droit de la famille notamment. Elles se plièrent aussi à l’organisation très structurée des consistoires …

Je fais ce rappel historique, vous l’avez compris, parce qu’il sert en quelque sorte de modèle à ceux qui voudraient imposer la constitution d’un « Islam de France ».
Nous avons aujourd’hui en France une population musulmane très diverse

  • Par l’origine de la famille : du Maghreb, de Turquie, du Proche-Orient, d’Asie, d’Afrique subsaharienne… ou de convertis récents, ce qui entraîne souvent des pratiques culturelles différentes
  • Par le culte pratiqué, la majorité sont sunnites, mais d’autres chiites, soufis, etc.
    Une mosaïque bien plus complexe que le judaïsme d’il y a 200 ans ! Sur ce point, et c’est bien le seul, je suis d’accord avec Monsieur Marwan Muhammad, Directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France, le CCIF, lorsqu’il déclare « Il n’y a pas d’islam de France » !

Et pourtant, de manière récurrente, des politiques ont tenté, et tentent encore, d’engager l’État dans une démarche d’organisation du culte musulman.
Ce fut Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur en 1990 qui crée un Conseil de réflexion sur l’Islam de France, chargé de présenter des propositions pour l’organisation du culte…
Ce fut Jean-Pierre Chevènement ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Jospin qui lance une large consultation en 1997 sur « l’intégration d’un islam à la française », qui achoppe sur la question de l’apostasie que Chevènement voulait voir accepter par les responsables musulmans…
Ce fut Daniel Vaillant, ministre de l’Intérieur qui poursuit la démarche en 2000…
Ce fut Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur qui crée en 2003 le Conseil français du culte musulman, CFCM… dont chacun aujourd’hui critique la composition et le fonctionnement…
C’est, il y a quelques semaines, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, qui déclare vouloir (je cite) « faire émerger un islam de France ancré dans les valeurs de la République »…
C’est aussi la création ou le réveil d’une « Fondation pour l’islam » dirigée par une personnalité nommée par l’État… un ancien Ministre de l’Intérieur…

Si vous m’avez suivi, vous avez noté que toutes ces initiatives sont l’œuvre de MINISTRES DE L’INTÉRIEUR… Il s’agit bien de reprendre la philosophie du Concordat napoléonien : contrôler, instrumentaliser si possible un culte pour « le maintien de la tranquillité intérieure » comme le dit le traité de 1801 !

Mais nous ne sommes plus en 1801, et l’histoire, l’exemple de la pratique du Concordat avec l’Église, le démontre : c’est une illusion de croire que la République a intérêt à se mêler de l’organisation des cultes. C’est à eux de se structurer et de se financer !

Comme je l’ai dit en introduction, je suis d’accord avec Roland Ries sur ce point : le Concordat ne saurait pas être un modèle pour la France !

Faut-il en revanche maintenir cette exception régionale ?

J’ai réfuté tout à l’heure plusieurs arguments de ses défenseurs.

Je tiens pour conclure à en évoquer un autre.

On nous dit que le Concordat, l’enseignement religieux, favorisent le dialogue interreligieux et donc la paix civile.
Cette paix civile serait donc garantie par le fait de rémunérer les ministres des cultes ? Et l’Alsace et la Moselle seraient des territoires où la paix civile serait tout particulièrement préservée ?
Allons ! Les candidats au djihad sont aussi nombreux chez nous qu’ailleurs en France ! Dans la France de l’intérieur on ne connaît pas plus de guerres de religion que chez nous !

Comme je l’ai déjà dit l’argument ultime que l’on m’oppose c’est l’argument identitaire : c’est bien parce que c’est local … Bravo pour l’immobilisme et le repli sur soi !

En deux mots, je voudrais vous informer de ce qui se passe chez un de nos voisins. Le Luxembourg faisait partie de la République française en 1801. Il avait conservé jusqu’en 2013 les effets du Concordat.
Or, en trois ans, avec accord signé par l’archevêque de Luxembourg, à une large majorité du parlement, sans aucune manifestation dans la rue, le Grand-Duché a supprimé le salariat des prêtres, l’enseignement religieux confessionnel à l’école publique et l’obligation pour les communes de participer aux frais du culte…

Alors, pour nos trois départements, j’en appelle aux élus, à leur lucidité face à l’évolution de la société et surtout à leur courage politique !

MICHEL SEELIG

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