Celui formé des 3 départements de la Moselle et du Rhin d’une part, du Grand-Duché de Luxembourg de l’autre.
Ces territoires ont vécu au cours des siècles bien des vicissitudes historiques communes. Pour le sujet qui nous réunit aujourd’hui, je rappellerai que le territoire luxembourgeois actuel constitue l’essentiel du département des Forêts de la République française en 1801, lors de la signature du Concordat entre Bonaparte et le Vatican. Il fait ensuite partie de l’Empire de Napoléon, jusqu’à la chute de celui-ci. En 1815, il passe sous domination hollandaise, puis belge en 1830, puis prussienne en 1839… et devient un État souverain en 1867. C’est la volonté de Napoléon III en 1870 d’annexer le petit État qui est la cause directe de la guerre franco-prussienne dont les conséquences sont encore vives aujourd’hui.
L’héritage historique du Grand-Duché
Jusqu’à une date très récente, le Grand-Duché a conservé tout un héritage législatif et réglementaire de cette histoire. Il n’a pas signé de Concordat, mais a continué à appliquer les effets de ce traité et d’une partie des textes complémentaires napoléoniens, Articles organiques de 1802 ou Décret sur les fabriques des églises de 1809. Ainsi, les prêtres étaient rémunérés par l’État et les communes devaient abonder les budgets paroissiaux.
De même, ce sont des pratiques allemandes sur l’enseignement religieux à l’école qui ont perduré.
Telle était la situation, il y a 5 ans, en 2013.
L’Alsace et la Moselle, une histoire parallèle
La Moselle voisine du Grand-Duché et l’Alsace ont connu une histoire quelque peu différente, mais avec un résultat voisin…
En 1870, les 3 départements du Nord-Est font partie du Second Empire français et sont soumis au régime des cultes de l’époque, appuyé sur le Concordat et les Articles du culte catholique, les Articles des deux cultes protestants et les décrets de 1808 réglementant le culte juif. Les ministres des cultes sont payés par l’État. Les communes participent au financement des fabriques. Et la loi Falloux de 1850 a placé l’enseignement religieux en tête des programmes de l’enseignement primaire.
En 1871, l’Alsace et la Moselle sont annexées par l’Allemagne qui accepte de maintenir l’essentiel de ces dispositions. L’Empire allemand y ajoute une législation sur le blasphème et la création de facultés de théologie, catholique et protestante, au sein de l’Université publique.
Toutes ces dispositions sont à nouveau confirmées après le retour des 3 départements à la République française au lendemain de la Grande Guerre, des lois aussi importantes que les lois Ferry ou Goblet sur l’École, la loi de 1901 sur les associations et, bien entendu, la loi de séparation de 1905, ne sont donc pas appliquées en Moselle et en Alsace.
Les dispositions en matière religieuse font partie d’un vaste ensemble de lois et règlements dérogatoires, dans tous les domaines du droit, que l’on appelle le Droit local d’Alsace et de Moselle.
Ce Droit local connaît de 1819 à 2011 bien des évolutions. Toujours est-il, que les ministres des cultes sont toujours payés par l’État, que les communes financent toujours les paroisses et que les facultés de théologie publiques prospèrent…
Après cette présentation, presque en parallèle, de l’histoire des deux territoires, il faut à présent, de manière un peu plus détaillée, aborder leur évolution et leurs perspectives depuis une petite dizaine d’année.
2013-2018 Une petite révolution au Luxembourg…
La Constitution de l’État tient compte des dispositions religieuses, elle dispose ainsi que « Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à charge de l’État et réglés par la loi ».
Mais, en 2013, les Chrétiens-sociaux (parti de Monsieur Juncker) perdent pour la première fois depuis longtemps la majorité parlementaire.
Une nouvelle majorité de coalition arrive au pouvoir. Elle comprend le Parti Démocratique (libéral dirigé alors par Xavier Bettel, depuis lors chef du gouvernement), le Parti Socialiste Ouvrier Luxembourgeois (social-démocrate) et le Parti des Verts.
Cette coalition proposait un programme de gouvernement qui prévoyait notamment une politique très avancée dans le domaine sociétal ; une réforme constitutionnelle portant notamment sur le financement des ministres des cultes et, plus largement, une révision complète du régime des cultes. Je cite quelques phrases du programme de la coalition : « Les réalités sociétales requièrent une remise en cause des relations Actuelles entre l’État et les cultes. [Une affirmation du] principe du respect de la liberté de pensée, de la neutralité de l’État à l’égard de toutes les confessions religieuses ainsi que de l’autodétermination des citoyens. »
Très rapidement Les réformes sociétales sont pratiquement toutes adoptées (le Premier ministre Bettel épousera son compagnon immédiatement après la promulgation d’une loi sur le « mariage pour tous »).
En revanche, La réforme constitutionnelle n’aboutit pas car la majorité parlementaire est trop étroite et pour un référendum les électeurs (comme souvent partout) votent pour ou contre celui qui pose la question, plutôt que sur la question posée. Or, en 2015, le gouvernement tente une telle consultation populaire sur trois sujets qui semblaient devoir faire consensus. Or, le vote Non l’emporte très largement … Le gouvernement ne tentera plus d’autre consultation directe de la population (Son mandat de plus s’achève cette année 2018).
… Par un accord entre les cultes et l’État
Il négocie alors et signe avec tous les cultes (dont l’Église catholique représentée par l’archevêque de Luxembourg – qui subira les critiques de sa base !) une Convention qui redéfinit complètement leur régime.
Les dispositions de cette convention sont traduites progressivement en textes de lois adoptés par le Parlement :
- Une loi modifie le décret de 1809 sur les fabriques paroissiales : les communes sont déchargées de tout financement des paroisses.
- Les bâtiments cultuels catholiques et leurs annexes (presbytères etc.) sont confiés à une Fondation nationale catholique qui doit prendre en charge la totalité des frais d’entretien de ceux-ci.
- 6 autres lois définissent les relations avec tous les cultes « reconnus » :
* il s’agit des cultes catholique, protestant, orthodoxe, anglican, israélite et musulman
* pour le culte catholique, les ministres en fonction continuent à percevoir un traitement jusqu’à 65 ans, puis une pension. Les nouveaux « embauchés » seront à la charge directe de l’Église. Celle-ci perçoit une subvention globale qui diminue progressivement (elle passera immédiatement de 24,6 à 8,3 millions d’euros)
* pour les autres cultes, une subvention globale est aussi allouée (suivant l’importance des communautés, elle varie de 125 000 à 450 000 euros annuels).
Enfin, un cours « Vie et société » remplace le cours d’instruction religieuse et morale et le cours d’éducation morale et sociale, d’abord dans l’enseignement secondaire, puis dans le primaire. Les enseignants actuels de religion sont « recyclés ».
Alors, bien sûr, la réforme oriente davantage le pays vers un système à la belge que vers une séparation à la française. On ne peut cependant que saluer l’évolution considérable de la situation en un peu moins de 5 ans …
Une lente évolution en Moselle et en Alsace
Pour le régime des cultes, au sens strict, rien de nouveau, si ce n’est que la pénurie de prêtres frappe autant les départements dits concordataires que le reste du pays. Deux des cultes reconnus ont administrativement fusionné : celui de la Confession d’Augsbourg (luthérien) et le culte réformé (calviniste).
Le budget annuel de l’État consacré à la rémunération des ministres des cultes s’élève actuellement à presque 60 millions d’euros.
La faculté de théologie catholique de Strasbourg, comme je l’ai déjà dit, prospère. Son ancien Doyen, un prêtre catholique est même devenu président de l’Université publique unifiée, l’UNISTRA…
Un élément positif est à retenir, plus symbolique que pratique : la loi Égalité/Citoyenneté de janvier 2017 a, enfin, supprimé le délit de blasphème du code pénal local.
Enfin, l’action constante des militants laïques a permis progressivement de faire évoluer les pratiques en matière d’enseignement religieux : de facto, mais pas de jure, cet enseignement est devenu une option, la notion de « dispense » disparaissant petit à petit.
2011 : le coup d’arrêt constitutionnel
Mais l’évolution globale de la situation depuis les années 2010 tient surtout à la jurisprudence constitutionnelle : le Conseil par une décision de 2011 a complètement bloqué, à partir de cette date toute évolution du droit local qui n’irait pas dans le sens d’un rapprochement avec le droit général français. Il a également rappelé le caractère juridiquement « transitoire » de ce droit.
À défaut d’une réforme constitutionnelle réclamée par de nombreux politiques alsaciens, surfant sur un sentiment identitaire exacerbé par la réforme régionale, une grande partie des dispositions du droit local sont plus ou moins condamnées à brève ou moyenne échéance…
Ainsi, l’enseignement religieux fait de moins en moins recette. Si la pression de l’environnement social, notamment en zone rurale, permet encore une participation moyenne d’un plus de 50 % des élèves, au collège il n’y a plus que 20 % et moins de 10 % au lycée !
Cela a conduit les cultes alsaciens, catholique et protestants, à proposer une ouverture de leur enseignement confessionnel à d’autres religions, l’islam et le bouddhisme, en tentant de préempter un enseignement du fait religieux qu’ils affirment mal assuré par l’Éducation nationale.
Pour l’instant, le barrage constitutionnel tient … mais certains propos officiels sur la place des cultes dans la définition des politiques publiques inquiètent…
Pour conclure, que peut-on retirer d’une comparaison entre deux territoires voisins, le Grand-Duché de Luxembourg d’une part, l’ensemble formé par la Moselle et l’Alsace de l’autre ? La conclusion paraît évidente : il est temps que nos dirigeants aient enfin le courage politique de mettre un terme aux régimes dérogatoires en matière religieuse. L’exemple luxembourgeois nous démontre que c’est possible !