La laïcité en France, c’est un comble, est perçue par des minorités tapageuses comme intolérante face à une laïcité anglo-saxonne prétendument plus ouverte car perméable aux accommodements raisonnables avec des religions.
D’évidence les pays anglophones fonctionnent sur un principe de cohabitation de communautés qui, dans ces sociétés, favorisent les tendances centrifuges alors que notre République considère la devise de la Nation, bloc fondateur de notre vivre ensemble, comme le « ciment puissant » de notre pays et développe en permanence des tendances sociétales centripètes.
Dans ce contexte, deux informations concernant le secteur éducation de la France révèlent la portée des tensions de notre société, mais aussi la différence inconciliable des approches avec le monde anglo-saxon ; elles concernent :
- les polémiques autour du port du voile
- les initiatives d’Etat pour tenter de normaliser une situation considérée comme déstabilisante et qui favorisent la concorde entre acteurs du monde de l’Education, élèves, enseignants et parents à l’instar du vade-mecum distribué récemment par le ministère de l’Education nationale.
Plongeons dans l’actualité
Lorsqu’on veut déstabiliser une société, on vise en priorité les fondements de son système éducatif qu’on tente de déséquilibrer, puis on agit jusqu’ à obtenir un fractionnement de ladite société.
C’est ce à quoi se consacrent des groupes minoritaires de notre pays ou parfois des individus isolés. Ces actions, attentats, agressions, comportements en rupture, sont favorisés par deux types de facteurs : l’un d’ordre économique et endogène, les poches territoriales de pauvretés dites territoires perdus de la République, l’autre quasi exogène, le développement de religions minoritaires ou de sectes favorisées par la présence de migrations très cosmopolites.
C’est sur ce terreau que fleurissent les intégrismes de toutes les religions. Et, bien entendu, la religion la plus partagée après le catholicisme, la religion musulmane a développé, elle aussi, depuis plus d’une décennie un courant intégriste qui se manifeste comme une idéologie révolutionnaire en opposition à « l’impérialisme occidental ».
Ce sont des incivilités qui ont ouvert le dossier du voile, notamment à l’école, et qui se sont traduites par des avancées législatives : la loi du 15 mars 2004 a, en quelque sorte, parachevé l’encadrement de la liberté d’expression des élèves des établissements du premier et second degré en interdisant le port de signes et tenues ostensibles d’appartenance religieuse.
Puis les pressions à caractère religieux se sont accentuées année après année, par paliers, jusqu’à des actes ciblés dans des lieux dédiés à l’Education qui ont été et sont encore soit très violents soit de plus en plus signifiant d’un point de vue symbolique.
Dernier exemple, la présidente du syndicat étudiant UNEF à Paris IV-Sorbonne, Maryam Pougetoux, prétend fin mai : « mon voile n’a aucune fonction politique ».
Elle porte son voile islamique à l’Université ce qui est parfaitement autorisé sous réserve, dans ce lieu, de l’application du règlement intérieur de l’Université, réserves qui, traditionnellement, concerne l’hygiène et/ou la sécurité.
Ce qui pose davantage problème c’est qu’elle porte ce voile alors même qu’elle s’exprime au nom d’un syndicat progressiste qui, jusque-là, était considéré comme attaché à certaines valeurs comme l’égalité entre femmes et hommes.
Au-delà, cette nouvelle « affaire de voile » révèle l’impréparation de la société, de la classe politique et des médias à l’égard du développement de l’islam en France ; A noter d’ailleurs, qu’historiquement, l’apparition d’une nouvelle religion sur un territoire donné a toujours entrainé de fortes réactions sociétales.
Tirer les leçons d’un constat
Sur cette énième affaire de voile il faut prêter attention aux expressions de ceux qui veulent apporter des ouvertures dans la logique de nos règles légales et institutionnelles depuis 1905.
Parmi les voix qui s’expriment, relevons l’avis de Marlène Schiappa [1] qui s’interroge « sur le positionnement politique » de l’UNEF :
« C’est une liberté de porter le voile et je suis tout à fait opposée à l’interdiction du port de voile dans les universités (…). En revanche, l’UNEF, qui est censée être un syndicat étudiant de gauche, laïc, progressiste, féministe, choisit comme porte-parole quelqu’un qui manifestement décide d’amener dans le débat public, et donc dans le débat politique, la question religieuse ». Dans la foulée, la secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes est interrogée sur ce sujet par France Info : « ça m’interpelle que l’UNEF ait choisi comme porte-parole une personne qui de toute évidence a des signes manifestes de religion, d’islam politique en réalité. » Et Marlène Schiappa d’insister : « Qu’est-ce que l’UNEF souhaite promouvoir comme valeurs : est-ce qu’il souhaite défendre la laïcité, est-ce qu’il souhaite défendre l’émancipation des femmes, est-ce qu’il souhaite défendre d’autres choses ? ». Mais, précise-t-elle au cours de cette même interview :« les attaques, y compris sexistes, antimusulmanes dont elle fait l’objet sur les réseaux sont totalement inadmissibles ! »
Autre témoignage celui de Didier Leschi [2] ,haut fonctionnaire, ancien président de la commission de contrôle de l’UNEF : « La laïcité est l’inverse d’une remise en cause du droit de croire, et de l’afficher dans l’espace public. Le choix du hidjab relève de la conviction intime et il ne saurait empêcher l’adhésion à l’UNEF ; ce d’autant que son port ne pourrait être interdit sans remettre au cause une longue tradition de liberté. À l’université, il a droit de cité comme la kippa ou la soutane. Aujourd’hui, dans aucun des points du globe, le développement du port du voile n’est le signe d’une avancée émancipatrice pour les femmes, ni même in fine pour les hommes. Il est le signe avant-coureur de régressions démocratiques et du refus de la différence, parfois jusqu’à l’horreur ».
Et de poursuivre « On peut décider de croire celles qui affirment que le port du hidjab en Europe n’est en rien la manifestation d’une soumission à un patriarcat s’appuyant sur la religion ; on peut les entendre quand elles disent qu’il s’agit de devenir visible dans un pays où elles se sentent invisibles. Mais on peut aussi penser (…) que cela peut produire une indifférence au sort de celles qui n’ont pas d’autre choix que de se soumettre à son port et que le choix de cette syndicaliste s’apparente à un déni de solidarité. »
In fine sur le sujet du voile les règles légales sont explicites et précises aujourd’hui ; nul besoin d’alourdir une législation. En revanche il convient de délivrer par voie réglementaire le cas échéant des préconisations pour faire connaitre solennellement quelles sont les postures favorables au vivre ensemble en harmonie. A noter cependant que, si des postures font débats, c’est aussi parce que notre société post-soixantuitarde a largement abandonné la rigueur que nécessite le vivre ensemble. Une laïcité bien comprise en France est réductrice de conflits et facilite la fluidité des rapports sociaux.
Les nouvelles bases pragmatiques du bien vivre ensemble dans notre République laïque
Parmi de nombreuses initiatives deux on être prises récemment, l’une au niveau gouvernemental et l’autre au Sénat : avec cette dernière l’importance des religions est soutenue directement ou indirectement, afin de construire de nouvelles passerelles avec l’ Etat ; quant au travail gouvernemental, il tente de conforter par la pédagogie, la connaissance du corpus des lois dans le domaine de l’ éducation et explique les bonnes attitudes et les démarches positives.
- Décryptons en premier lieu la feuille de route de Jean Michel Blanquer Le ministère de l’Education nationale a distribué dans toutes les écoles de France un document le 30 mai destiné à aider les enseignants et chefs d’établissement à traiter des problèmes de laïcité sur le terrain. Comparé au livret-laïcité mis en circulation par Najat Belkacem en 2016, le document adopte une ligne plus directe.
Ce "vade-mecum de la laïcité" (83 pages) supervisé par le Conseil des sages de la laïcité et validé, bien entendu, par le ministre Blanquer se présente comme un guide pratique afin d’aider les acteurs de l’Education nationale à fournir la réponse adaptée aux atteintes à la laïcité constatées sur le terrain. Ce texte "est une version plus développée, plus pratique et aussi peut-être plus volontariste", déclare le ministre [3]. En première approche, sur le fond, la vision de la laïcité développée par les deux documents est la même. Le document est cependant encore plus concret que le précédent insiste par exemple sur les certificats médicaux dits "de complaisance", des agents qui refusent de serrer la main d’un(e) collègue ou d’un usager ou encore sur l’information et l’éducation à la sexualité. Il prévoit enfin une hotline laïcité « qui met à disposition de chaque professeur (chaque chef d’établissement) en France une adresse de saisine où on lui garantit une prise de contact du ministère dans les vingt-quatre heures en cas de signalement d’un problème relatif à la laïcité ».
Un seul regret : le cahier des charges pour les rectorats et inspections joint au vade-mecum qui clarifie le rôle de chacun et rappelle la place des enseignements pour faire vivre le principe et les valeurs républicaines associe encore une fois le fait religieux à la laïcité, les subordonnant l’un l’autre.
Une interrogation : la validité du vade-mecum sur tout le territoire de la France, Mayotte incluse, et dans tous les établissements sous contrat ?
- un exemple de proposition exécrable
Le 14 juin a été discutée en séance au Sénat une proposition de loi du centre et de la droite qui pourrait imposer aux ministres des cultes de justifier d’une formation les qualifiant à l’exercice de ce culte ; ce texte est présenté notamment par Nathalie GOULET, André REICHARDT LR.
Cette proposition de loi [4] estime que l’organisation des cultes de la loi de 1905 « n’a pas été bien intégrée par le culte musulman, pas plus d’ailleurs que par d’autres cultes d’apparition plus récente » et donc « que le culte musulman est exposé à des dérives et des pratiques opaques dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes. » ; des dérives qui se manifestent poursuit l’exposé des motifs « dans n’importe quel culte ne disposant pas d’une organisation bien structurée, notamment en ce qui concerne la gestion des lieux de culte et les modalités de recrutement des ministres du culte considéré ».
Par cette initiative ils souhaitent instituer une obligation nouvelle, opposable à l’ensemble des confessions pratiquant l’exercice public d’un culte : recruter leurs ministres des cultes, salariés ou bénévoles uniquement parmi des personnes justifiant d’une qualification cultuelle reconnue sous peine de sanctions pénales. De surcroit et pour en finir, la proposition de loi propose de transformer lesdites dispositions aux départements de la Moselle du Bas Rhin et du Haut Rhin.
Cette proposition résume à elle seule ce qu’il ne faut pas faire :
Elle demande, en dépit du rappel formel du principe de non reconnaissance des cultes (loi 1905), la création d’un conseil consultatif des cultes, placé auprès du ministre chargé des relations avec les religions, qui aurait pour missions : d’éclairer les pouvoirs publics dans leurs relations avec les représentants des cultes ; de contribuer à la réflexion sur les conditions d’exercice de la liberté de culte ; de contribuer à la réflexion sur les conditions de la formation des cadres religieux et ministres du culte ; de favoriser le dialogue interreligieux. Elle remet en cause allégrement et la Constitution et la loi ! Mais surtout elle éclaire la posture de ceux qui au nom d’une paix sociale sont de vrais pyromanes. Fin provisoire de cet épisode : la proposition de loi a été approuvée au Sénat par 196 voix LR et centristes contre 148 venant des autres groupes parlementaires. Le gouvernement par la voix de Mme Gourault s’est opposé au texte, qui, a-t-elle dit, « ouvre le débat » tout en soulignant que « nous (dixit le Gouvernement) partageons vos interrogations ». Cette position d’attente du Gouvernement n’est pas satisfaisante et nourrit la défiance des citoyens attachés à l’organisation laïque de la République.
Conclusion
La doctrine radicale et les valeurs progressistes auxquelles nous sommes très attachées sont pleinement compatibles avec le principe macronien du « en même temps ».
Dans notre Constitution notre République est qualifiée de laïque. Au risque de perdre une part substantielle de notre identité, la laïcité doit en permanence s’insérer dans tous les domaines de l’action du gouvernement. Le pragmatisme du ministre de l’Education, par exemple, est de bon aloi ; mais la dualité de notre système éducatif impose aujourd’hui, plus que jamais, de donner la priorité au service public de l’Éducation nationale, de la maternelle à l’Université, tant sur le plan des règles programmatiques et de comportements que sur celui du budget. Restons en éveil au jour le jour pour éviter un possible délitement du principe républicain de laïcité.