Association des Maires de France Laïcité - VADE-MECUM de L’AMF

, par Pascal HOCANTE

Ci-dessous, la page 3/5 de l’intervention de Gérard Delfau, devant le groupe de travail Laïcité de l’AMF, le 4 février 2015.
La laïcité fondement du vivre ensemble républicain.

Aux origines, il y a la Révolution française

Pour être plus précis, il vaut mieux dire les Révolutions, en se référant aussi à l’histoire des États-Unis. En effet, notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 répond comme en écho à la Constitution américaine de 1787, que les Dix premiers amendements viendront compléter en 1791 La simultanéité des deux textes est frappante ; et plus frappante encore la divergence d’évolution entre les deux nations. Quel est alors l’objectif ? Il s’agit de briser le monopole d’une Église, catholique et romaine, ici, en France, anglicane, là, en Amérique ; il s’agit de séparer pour la première fois, en Occident, le pouvoir politique et l’exercice des cultes et d’assurer enfin la liberté de croyance (mais pas encore d’incroyance). Cette démarche d’émancipation, on la retrouve un peu partout en Europe à la même époque. Elle chemine difficilement, souvent réprimée et noyée dans le sang. Chez nous, elle connaît une évolution contrastée, chaotique, et même violente, en 1793, mais au total féconde. En effet, en quelques années, la Révolution française invente la société moderne : elle abolit la monarchie de droit divin, crée l’état civil, qui se substitue aux registres paroissiaux, autorise le divorce, met fin au délit de blasphème ; elle invente même le concept de « séparation » de l’Église et de l’État, qui ressurgira en 1905. Cette ère de la Révolution n’est pas encore celle de la laïcité, car le concept n’existe pas. Mais elle en est la préhistoire et la matrice.

Le Concordat napoléonien met les religions sous tutelle

Une nouvelle période s’ouvre avec l’accession au pouvoir de Napoléon Bonaparte. Le pays est las des soubresauts révolutionnaires. Il aspire à la paix et à la stabilité des institutions. Le Premier consul cherche à assurer son pouvoir encore contesté et il veut mettre fin à cette guerre civile larvée qu’alimente l’existence d’une Église catholique divisée entre prêtres ayant prêté serment au pouvoir révolutionnaire et prêtres ayant refusé, selon la consigne du Vatican. Le pape, Pie VII, lui, cherche à restaurer l’Église dans ses droits d’antan. Une négociation, commencée en 1800, aboutit à la signature d’un Concordat, entre les deux parties prenantes, le 15 juillet 1801. Une sorte de compromis global. Le Vatican abandonne sa demande de récupération des biens nationaux, naguère vendus au profit du budget de l’État. En contrepartie, il obtient la mise en place d’un budget du Culte, qui financera le fonctionnement de l’Église catholique. Il obtient une autre concession importante : le catholicisme ne sera plus religion d’État, comme avant 1789 ; mais il est défini comme « la religion de la très grande majorité des Français », ce qui lui assure une « reconnaissance » de la part du pouvoir politique, une place officielle dans la nation. Il cède enfin en partie sur la nomination des évêques : ceux-ci seront choisis par l’État, mais ils devront être reconnus par le Vatican pour avoir le droit d’exercer leur charge. Un processus complexe, qui va empoisonner les relations entre la France et l’Église catholique durant tout le XIXe siècle. À peine signé, le texte fait l’objet d’un profond remaniement à l’occasion de son adoption par les instances législatives en 1802. En effet, Napoléon y fait ajouter unilatéralement 76 articles organiques, qui en déséquilibrent le contenu au profit du pouvoir politique. Ils contiennent aussi une partie consacrée à l’Église réformée, qui bénéficie dès lors du même statut et des mêmes avantages. Enfin, un peu plus tard, l’Empereur obligera le judaïsme à accepter le même type d’organisation. La signature du Concordat a donc un prix : elle se fait aux dépens de la liberté de culte et de la libre administration des églises. Les historiens s’accordent généralement pour dire que le régime concordataire napoléonien aboutit à une mise sous tutelle de la religion. L’inverse en somme de la laïcité. L’étonnant, c’est que ce statut dérogatoire des cultes subsiste encore dans les trois départements d’Alsace et de Moselle, et, sous une forme différente, en Guyane et à Mayotte, tout comme subsiste le délit de blasphème en Alsace-Moselle.

Le régime concordataire napoléonien durera un siècle, jusqu’à la loi de séparation des églises et de l’État, en 1905. Pendant longtemps les Républicains ont dû focaliser leur combat sur la conquête du suffrage universel et l’établissement de droits économiques et sociaux pour la classe ouvrière. Ils ont fait porter aussi leur effort sur la laïcisation des services de base : l’hôpital public et l’école notamment. Ils s’inspirent là encore des projets de la Grande Révolution, ceux de Condorcet notamment s’agissant de l’instruction qui doit devenir publique, neutre et obligatoire pour tous les enfants.
À chaque étape, les Républicains se heurtent aux conservateurs monarchistes, puis bonapartistes, ainsi qu’à l’Église catholique, dont le poids politique s’appuie sur l’adhésion d’une majorité de la population et sur le statut officiel et les moyens financiers que lui donne le Concordat. Ce combat pour la République et pour la liberté de conscience est ponctué de secousses violentes. Le XIXe siècle est un siècle tragique, marqué par le massacre des journées de Juin 1848 et par celui des Communards, lors de la Semaine sanglante, en 1871. Cet affrontement d’une extrême dureté se prolonge jusqu’à la sinistre période de l’Ordre moral, qui s’achève avec la démission du Maréchal de Mac-Mahon, en 1877, à la suite de la victoire de Gambetta et des Républicains de progrès. S’ouvre alors une période faste pour la République, désormais confortée par le suffrage universel.

La IIIe République pose les bases de la laïcité

C’est durant cette période, qui va de 1880 à 1905, que sont votées les grandes lois qui, aujourd’hui encore, structurent notre fonctionnement démocratique. Elles obéissent au souci de mettre fin au monopole de l’Église catholique sur les institutions, les services publics et les rites sociaux. Tandis que le terme « laïcité » commence à apparaître, d’abord à propos de l’école, le concept de « neutralité religieuse » devient omniprésent et inspire le passage
à l’autorité de l’État de structures sociales ou de cérémonies jusque-là sous tutelle ou influence directe de l’Église catholique : municipalisation des cimetières ; loi de « Liberté des funérailles », qui désormais pourront être « civiles » ; municipalisation des pompes funèbres ; mais surtout laïcisation de l’hôpital public et de l’école. Désormais, de la naissance à la mort, en passant par l’école, il est possible à tout citoyen d’adopter un comportement religieux ou d’opter pour une attitude strictement « civile », souvent qualifiée de « laïque ». C’est une révolution des moeurs et des pratiques sociales qui s’accomplit en l’espace d’une génération. Et n’oublions pas d’autres réformes emblématiques, comme la loi Naquet sur le divorce, et la loi sur la Liberté de la presse, qui assure la liberté d’opinion et abolit le délit de blasphème. Enfin, autre avancée considérable, et qui nous concerne directement, nous élus locaux, l’arrêt Bouteyre, en 1912, puis la circulaire Jean Zay, de 1937, confortée par la loi d’obligation de neutralité des fonctionnaires, en 1983, imposent une stricte neutralité à tout agent des trois fonctions publiques : État, collectivités territoriales et hôpital public. Tel est le premier ensemble de textes législatifs qui forment l’infrastructure du principe de laïcité et le début de son inscription dans l’État de droit.

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