Marianne - Sarah El Haïry, une ministre face au "New York Times". Propos recueillis par Soazig Quéméner Marianne, 30-07-21

, par MARIANNE, Soazig Quéméner

"La lecture que fait le New York Times de notre pays, de notre société, est binaire [...] Notre histoire est faite de beaux moments et d’autres plus compliqués.... Elle est surtout faite d’un commun et donc d’une lecture qui ne repose pas sur la différence ou sur la communauté à laquelle on se rattache, à la différence des Américains..."

"À aucun moment, le NYT ne tente de discuter du fond de ma position. Ils ont simplement cherché ce qui décrédibiliserait ma réponse".

Dans un article publié la semaine dernière, le quotidien américain est revenu sur le débat houleux qui avait opposé, en octobre 2020 à Poitiers, Sarah El Haïry à des jeunes réfractaires au principe de laïcité. Le « NYT » prend leur parti et décrit une France « laïque et daltonienne ».
Dans « Marianne », la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement auprès de Jean-Michel Blanquer pourfend cette « lecture binaire » du « New York Times ».
Marianne : Le « New York Times » décrit une France « laïque et daltonienne ». Que répondez-vous ?
Sarah El Haïry : C’est une lecture extrêmement basique qui nie notre histoire et notre identité. « Daltonien », cela veut dire qu’il n’y a aucune nuance, aucune complexité, aucune diversité. Et c’est l’extrême opposé de l’universalisme. La lecture que fait le New York Times de notre pays, de notre société, est binaire. Soit vous êtes intersectionnel pro-woke, soit vous êtes juste un réac’ républicain. Alors que si l’on prend notre histoire, elle est faite de beaux moments et d’autres plus compliqués. Elle est faite de victoires et de défaites. Elle est surtout faite d’un commun et donc d’une lecture qui ne repose pas sur la différence ou sur la communauté à laquelle on se rattache, à la différence des Américains. Aujourd’hui, malheureusement, certains ont décidé de chausser des lunettes américaines pour observer notre société, alors que nous n’avons ni la même histoire, ni le même héritage.
Le grand moment d’incompréhension, voire d’hostilité, que vous avez connu à Poitiers est donc lié selon vous à une américanisation des esprits ?
À ce moment-là, c’était moins le prisme américain, la cancel culture, qui pousse à déboulonner nos statues, à changer les titres des livres, à regarder le passé avec les lunettes d’aujourd’hui, une vision du monde qui va chercher la somme des différences pour opposer et fragmenter au lieu d’unir.
À Poitiers, c’était plutôt le pan de la victimisation, qui est un syndrome ayant au fond les mêmes racines : « Je suis victime de discriminations et je vais prendre comme étendard exclusif la cause que je défends », alors que la promesse universaliste, la promesse française, c’est de lutter contre les discriminations, car nous faisons corps, nous faisons Nation, car notre destin est lié.
« Nous ne pouvons pas nous définir par notre propre discrimination. »
Parce que nous sommes une grande Nation, parce que nous sommes les héritiers de Félix Éboué, de tellement de grands hommes quelle que soit leur couleur ou leur histoire, celui qui discrimine est celui qui attaque toute la communauté nationale, et notre réponse ne peut être que commune. Cela n’empêche en rien de lutter avec fermeté contre les discriminations, comme nous le faisons par exemple à travers la plate-forme de signalement dédiée souhaitée par le président de la République et qui a été mise en place en février dernier. En revanche, nous ne pouvons pas nous définir par notre propre discrimination mais au contraire par la force du collectif auquel nous appartenons, la France.

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