Premier texte de trois sur un phénomène de moins en moins marginal chez nos voisins du Sud.
Aux États-Unis, l’athéisme fait l’objet d’un militantisme passionné dont l’actuel président a ravivé les ardeurs. Portrait d’un phénomène unique aux États-Unis, aux antipodes de la réalité québécoise.
« Je n’ai pas besoin de Dieu pour être une bonne personne », écrit Margory C. dans une publication de la Freedom from Religion Association, l’un des lobbies athées les plus importants aux États-Unis.
Margory participait à la campagne « Athées sortis du placard ». Parce que chez l’oncle Sam, faire son coming out d’athée est parfois plus difficile que faire son coming out en tant qu’homosexuel, disent plusieurs.
« Dans la tête de bien des gens, le fait de croire en Dieu est une sorte de garantie que vous êtes une personne bonne, juste ou morale », résume Mandisa Thomas, de l’organisme Black Non Believers.
À l’inverse, les non-croyants sont l’objet d’une méfiance persistante. À preuve, selon la firme Gallup, deux Américains sur cinq disent qu’ils n’auraient pas confiance en un candidat à la présidence non croyant. Signe que l’athéisme est le champion des tabous, les sondés seraient moins nombreux à rejeter un candidat ouvertement homosexuel ou musulman.
À l’approche de l’élection américaine, les défendeurs de l’athéisme aux États-Unis sont en alerte. « Nous avons atteint un point critique », plaide Annie-Laurie Gaylor, la co-présidente de la FFRF.
« Nous sommes sur le point de perdre Roe versus Wade [l’arrêt de la Cour suprême qui a protégé le droit à l’avortement en 1973). Avec Trump, nous assistons en ce moment à une prise de contrôle sur la Cour suprême. »
Fondée en 1976, la FFRF compte plus de 30 000 membres. Mme Gaylor a épousé la cause de l’athéisme en voulant d’abord défendre les droits des femmes. « On a réalisé que la seule opposition organisée au droit à l’avortement venait des groupes religieux et que, pour protéger les droits des femmes, on ne pouvait pas mêler religion et gouvernement », se rappelle-t-elle.
L’autre distanciation
Il y a quelques mois, la FFRF a diffusé dans le New York Times une publicité dénonçant la « théocratie » qui, à la manière d’un tsunami, s’apprêterait à submerger le pays.
Mme Gaylor développe les concepts des pubs elle-même, non sans humour. Ces derniers mois, l’une d’elles vantait les mérites de la « distanciation entre le religieux et le politique ».
Alors qu’au Québec, on a vu les nationalistes devenir des ardents défenseurs de la laïcité, chez les Américains, les défenseurs de la laïcité sont en lutte ouverte contre les nationalistes.
« Nous combattons le nationalisme chrétien, cette idée selon laquelle les É.-U. se sont construits sur des principes chrétiens et qu’il faut renouer avec ces principes », explique son collègue, le conseiller politique de la FFRF, Andrew Siedel. « C’est à l’opposé des principes laïcs de notre Constitution ».
Donald Trump, poursuit-il, exploite beaucoup ce nationalisme chrétien. « Selon certains chercheurs, ce nationalisme est la caractéristique la plus courante chez ceux qui ont voté pour lui en 2016 ».
Quel rôle jouent les lobbies athées dans la campagne électorale ? Un rôle limité, puisque la loi interdit aux organismes à but non lucratif de soutenir ouvertement un candidat financièrement ou autrement.
Or, la règle vaut aussi pour les groupes religieux. Dès lors, il arrive à la FFRF d’intervenir indirectement dans la campagne en déposant des plaintes contre les groupes religieux qui enfreignent la règle.
C’est arrivé en juillet quand ils ont porté plainte à l’Agence du revenu contre le pasteur texan Robert Jeffress, qui avait invité le vice-président Mike Pence à prononcer un discours devant des centaines de fidèles à Dallas.
Pendant que certains groupes athées déposent des plaintes, d’autres envoient des lettres. La Secular Coalition for America pousse ses membres à écrire à leurs élus au Congrès pour leur signaler qu’ils sont des électeurs athées. « Avec votre aide, nos élus vont remarquer l’importance de notre communauté et en tenir compte dans leurs politiques », plaide l’organisme.
Les groupes athées sont aussi très présents sur les campus. Le 8 septembre dernier, la Secular Student Alliance organisait une conférence web intitulée « Comment s’y prendre pour soutenir des candidats athées ? ».
Pour l’essentiel, on a conseillé aux étudiants de tenir des kiosques dans les universités afin d’inciter le plus grand nombre de jeunes à voter. De toute façon, il est pratiquement impossible de soutenir des candidats ouvertement athées tant ils sont rares.
Un caucus de la « libre pensée »
Isabelle Porter
26 septembre 2020
Or, ça commence à changer. Il y a deux ans, des élus du Congrès ont créé un « caucus de la libre pensée » afin de « faire la promotion de la science, des solutions rationnelles et pour défendre le caractère laïque du gouvernement ».
Le sénateur de la Californie, Jared Huffman, est l’un de ses fondateurs. « On a un problème aux États-Unis. On s’avance lentement vers un régime théocratique et notre groupe pense que la séparation entre l’Église et l’État est menacée », résume-t-il.
Le terme « théocratie » fait référence aux régimes dont le gouvernement est considéré comme le représentant de Dieu et où les prêtres jouent un rôle politique important. C’est le cas, par exemple, de l’Iran.
La formule n’est-elle pas un peu exagérée pour parler des États-Unis ?
« Non. Avez-vous écouté Bill Barr récemment [le procureur général des États-Unis] ? Il donne des discours qui semblent tout droit sortis d’un roman de Margarett Atwood. […] Il nous décrit régulièrement comme une nation chrétienne fondée sur des valeurs et des principes chrétiens qu’il nous faut renforcer », a répondu du tac au tac le sénateur.
« C’est très inquiétant, parce que nous sommes un pays pluraliste avec une diversité d’idées et de gens. »
Aujourd’hui, le caucus des libres-penseurs compte 14 membres, incluant des représentants de minorités religieuses (bouddhiste, juive, musulmane, etc.). Tous sont démocrates.
Le groupe a notamment présenté un projet de loi à la Chambre de représentants afin d’empêcher la sélection des immigrants en se basant sur leur foi en réaction au décret de 2017 visant les ressortissants de pays musulmans [« Muslim ban »].
Le sénateur est convaincu de pouvoir doubler le nombre de membres du caucus au cours du prochain mandat. « De nombreux collègues sont d’accord avec nous », dit-il. Même chez les républicains ? « Dans la théocratie actuelle du parti républicain, c’est difficile à imaginer. Ils sont complètement captifs du nationalisme chrétien évangélique », dit-il. « Le prix serait très élevé pour un républicain de se dire ouvertement non religieux. »