la société civile, via le journal El Paísmais également des associations de victimes, demandent des comptes aux autorités catholiques. Début février, le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez a donné son feu vert à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les violences sexuelles commises au sein de l’Église catholique et ordonné aux procureurs de recenser tous les cas connus impliquant des clercs et religieux. Il s’agit d’un coup de semonce dans un pays où les évêques ont jusqu’à présent été peu actifs, voire dans l’opposition plus ou moins sourde aux autorités civiles, comme le rappelle Hugo Charles Castelli-Eyre, membre du mouvement catholique d’ouverture Redes Cristianas.
Pourquoi autant de résistance du côté de l’épiscopat espagnol dans le dossier des violences sexuelles ?
Parce que la Conférence épiscopale espagnole (CEE) est dans le déni ! Ce n’est que sous la pression du pape François que les évêques ont commencé à bouger, et encore… mais leur président, le cardinal Juan José Omella, ne pensait pas qu’une enquête indépendante fût nécessaire…
Il faut savoir que la CEE a encore beaucoup d’influence et qu’elle est historiquement alliée à la droite. Elle s’était récemment opposée au projet de réforme de l’enseignement religieux à l’école. En Espagne, depuis le régime franquiste, la droite protège les évêques et c’est le gouvernement de José Maria Aznar [Ndlr : Premier ministre espagnol issu du Parti populaire, principal parti de droite, au pouvoir de 1996 à 2004] qui avait permis à l’Église d’« immatriculer », c’est-à-dire d’enregistrer en son nom, entre 50 000 et 100 000 bâtiments historiques. Les « chrétiens de base » que nous sommes se battent pour que ces propriétés reviennent à l’État, qui paie leur entretien alors que les droits d’entrée sont perçus par l’Église catholique ! Le gouvernement actuel de coalition entre le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et Podemos (UP) a réussi à introduire une loi limitant ce type de transfert de propriétés, mais cela reste compliqué. Et chaque politique de gauche a buté sur le concordat signé [Ndlr : en 1953] entre le Saint-Siège et l’Espagne avant la transition démocratique et l’intégration européenne.
Quel est, selon vous, l’état des forces des catholiques d’ouverture en Espagne, et ces derniers attendent-ils en particulier quelque chose du synode sur la synodalité voulu par le pape François ?
Il existe une réelle vitalité de la théologie catholique d’ouverture espagnole « post-théiste », qui cherche à dépasser l’idée traditionnelle de Dieu. Je pense à Bruno Mori, José Arregi, José Maria Vigil ou Santiago Villamayor. Ces derniers soutiennent l’idée que l’Église est peut-être en train de disparaître avec cette génération, à cause de l’abandon des jeunes et la révolte des femmes.
Nous, chrétiens de base, femmes et hommes, accueillons ce synode sur la synodalité comme un retour au mouvement du « chemin » du Jésus laïc de Nazareth. Nous participons au synode avec nos communautés de base et nos propres liturgies. Nous menons campagne pour la disparition des clercs et du célibat obligatoire, pour l’égalité des sexes dans les fonctions ecclésiales, qui seraient temporaires, pour l’élection des évêques par les laïcs de chaque diocèse, pour le paiement des impôts civils par l’Église espagnole. Ce synode est peut-être la dernière occasion pour l’Église catholique de rattraper son retard et nous devons soutenir le pape François pour son grand travail d’implication dans la mise en œuvre et l’extension des réformes initiées au cours du concile Vatican II. Mais nous restons réalistes : nous avons été ignorés par la CEE lors du synode sur la famille et nous sommes sceptiques quant à la réception que recevront les propositions que nous enverrons à Rome !
Propos recueillis par Anthony Favier.