Qu’est-ce que la démocratie ?
Fions-nous au Petit Robert : « Doctrine politique d’après laquelle la souveraineté doit appartenir à l’ensemble des citoyens ; organisation politique […] dans laquelle les citoyens exercent cette souveraineté. » En France, le préambule de la Constitution de la Ve République précise de plus qu’elle est « laïque », c’est-à-dire que l’autonomie décisionnelle des citoyens ne saurait être remise en cause par une quelconque autorité religieuse, puisque la Loi de 1905, appelée officiellement « Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat », interdit à tout groupe de conviction, religieuse ou autre, de se substituer aux citoyens lorsque survient une échéance décisionnelle.
Il se peut que le pouvoir exécutif s’adresse à l’ensemble du corps électoral par voie référendaire sur des questions pour lesquelles il faut en appeler à tous les citoyens. Mais, la plupart du temps, les citoyens mandatent des représentants, par exemple les membres du Parlement, pour mener au quotidien en son nom la « barque » républicaine.
Il se trouve que le catholicisme romain a mis plusieurs décennies pour reconnaître la IIIe République, et n’a accepté de se plier à la séparation introduite en France par la loi de 1905 que lors des accords de 1923-24, après que la République eut consenti certains accommodements.
Par exemple, les associations diocésaines sont d’office dirigées par l’évêque du diocèse (qui a été nommé par le Saint-Siège, donc une puissance étrangère…) qui en désigne tous les membres.
La séparation est par ailleurs « à peu près actée », et l’institution catholique ne peut en aucun cas avoir accès à l’exécutif ou au législatif.
Mais qu’en est-il du judiciaire ?
Les derniers développements de la terrible affaire des abus sexuels commis par des membres du clergé, qui apparaît tardivement au grand jour en France, prouvent que la hiérarchie catholique a là-dessus pratiqué l’omerta.
Tout a été « géré » en interne, au mépris du droit français. On a cherché autant qu’on a pu à cacher la réalité des faits, en déplaçant les fautifs sans pour autant résoudre les problèmes. On a délibérément agi comme si le Droit Canon était supérieur au droit prévalant dans la République, comme si on était encore sous l’Ancien Régime, en montrant un mépris éhonté pour le pouvoir judiciaire. Pour « la Loi » à laquelle tout citoyen est soumis.
Qu’en est-il des autres religions ?
Eh bien, des événements récents montrent que l’on continue à ne pas désirer « rendre à César » ce qui lui revient dans l’ensemble des religions monothéistes.
Sous la plume de Julien Tranié, le journal La Croix s’est fait l’écho le 31 octobre dernier d’une table ronde organisée à l’Assemblée nationale le 30 octobre à l’occasion de la révision des lois de bioéthique. S’y trouvaient des représentants des Eglises catholique, protestante et orthodoxe ainsi que de l’islam et du judaïsme.
Tous ont semblé s’exprimer dans le même sens. Qu’on en juge…
« Ne sommes-nous que des poils à gratter ? » s’exclame Anouar Kbibech, vice-président du CFCM (Conseil français du culte musulman), tandis que tous s’interrogent sur « la PMA mais aussi l’euthanasie, le suicide assisté et les grands défis bioéthiques en général ». Ils (tous des hommes…) sont à la Représentation nationale pour exprimer l’avis de leur « communauté » d’origine. Sont-ils des représentants qualifiés de l’ensemble de ceux pour lesquels ils sont censés s’exprimer ?
Le CFCM représente-t-il valablement tous les musulmans de France ? Mgr D’Ornellas a-t-il été démocratiquement mandaté par les catholiques de France ? On peut surtout s’étonner de l’intervention, en préambule, du représentant de la FPF (Fédération protestante de France), le pasteur François Clavairoly, qui précise que, je cite le journal, « la révision des lois de bioéthique induit la révision d’un modèle de société et ne doit pas être le simple fait d’acter la majorité des éthiques personnelles ».
Comprenons-nous bien ?
Est-on en train de dire que la somme des conceptions morales « personnelles » (individuelles ?) est moins importante que ce qu’ont à en dire les « spécialistes », c’est-à-dire en priorité les représentations religieuses autorisées (par qui ?) ?
Ce serait rien moins que court-circuiter la décision démocratique ! Le citoyen ordinaire ne saurait être assez intelligent pour avoir, comme sur toute question, un avis valide à exprimer, serait-ce par l’intermédiaire de ceux qu’il a mandatés…
On pourrait, de plus, se demander de quelle autorité morale pourrait, étant donné sa situation présente, se prévaloir aujourd’hui le catholicisme.
Les « religions », ou plutôt les hiérarchies qui se sont approprié les messages humanistes qui les ont fondées, ne semblent pas avoir encore compris qu’elles doivent, comme tout le monde, à savoir le vulgum pecus qu’elles semblent tenir en un certain mépris, obéissance à La Loi.
Didier Vanhoutte