Loi Séparatisme : Le Conseil constitutionnel rejette les recours des Églises

, par Michel Delmas

Dès la naissance du projet de loi Séparatisme, plus tard intitulé : loi confortant le respect des principes de la République, les institutions religieuses étaient méfiantes.

A partir du concept de Séparatisme, le gouvernement affirmait vouloir mettre à genoux les extrémistes musulmans. C’était une demi-vérité.

En déroulant les articles les uns après les autres, les Églises se sont vite aperçues que toutes risquaient de perdre une partie de leur indépendance par la décision du Prince. « Rome n’est plus dans Rome ». La réforme réveille la querelle sur la place des religions .
L’Église catholique ne couronne plus les rois. Le pape François fait grise mine : « Un État doit être laïque mais ne doit pas être laïciste […] ce qui veut dire qu’il respecte les différentes convictions et la transcendance tout en proposant un cadre commun. » (La Croix, 15 mars 2021)

La Conférence des Églises Européennes (CEC), organisation œcuménique rassemblant 114 Églises d’Europe, adresse un courrier au gouvernement le 4 février 2021 pour lui faire part de sa « vive inquiétude » sur un projet qui charrie une « culture de la suspicion » vis-à-vis des confessions, et qui « risque de porter atteinte aux droits fondamentaux constituant le socle de l’État et de l’UE ».
Ainsi l’obligation de signature d’un « contrat d’engagement républicain » est de nature à limiter la capacité des associations à interroger, voire contester, les politiques publiques, comme peuvent le faire des structures telles que le Secours Catholique ou Entraide Protestante.

Le président de l’Union des Églises Réformées Évangéliques, le pasteur Jean-Raymond Stauffacher, est perplexe sur deux points. Tout d’abord, les religions organisées sous forme de « cultes » devront prouver leur caractère religieux tous les cinq ans sous peine d’être dissoutes. Par ailleurs, recevant des fonds de l’étranger, elles devront faire certifier leurs comptes par un expert indépendant. Ces pratiques sont, à ses yeux, baroques, insolites, anormales.

La pasteure Emmanuelle Seyboldt, présidente de l’Église Protestante Unie de France qui regroupe luthériens et réformés, se désole pour de semblables motifs. La pasteure Joëlle Sutter-Razanajohary, secrétaire générale de la Fédération Baptiste, renchérit : « Nous sommes jetés en pâture au bon vouloir des préfets tous les cinq ans. »
Le Conseil National des Évangéliques de France (CNEF), représentant 70 % des évangéliques en France et dont l’Alliance évangélique mondiale a un bureau au sein de l’ONU, publie, le jeudi 6 mai, un rapport sur la liberté religieuse dans notre pays, qu’il adresse au Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Le texte dénonce plusieurs manquements au regard de l’article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.

La lutte est engagée sur le plan international contre l’« État athée ».

Il en va de même en France. Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, est amer. Ce document « se présente essentiellement comme répressif ». Plusieurs articles font mention de « l’ordre public » comme condition d’attribution de subvention ou de la reconnaissance du statut d’association cultuelle. Le prélat aurait préféré un terme moins juridique, un terme plus souple de « sécurité publique » afin que cette mutation législative n’ait pas un « effet d’entraînement, à moyen et long termes » restreignant les libertés.
« Une loi répressive », reprend le président de la conférence épiscopale, lors de son audition au Sénat le 4 février 2021.

La tribune des Églises catholiques, protestantes et orthodoxes dans Le Figaro du 10 mars 2021 s’insurge : « On fait une loi de contraintes et de contrôles multipliés : contrôle systématique par le préfet tous les cinq ans de la qualité cultuelle, contrôle redoublé des activités et des propos tenus […], contrôle des financement venus de l’étranger et des ressources des associations cultuelles, redoublement de l’engagement républicain de quiconque voudra mener une activité avec l’aide de subventions publiques. […]. Tournant le dos à la séparation, l’État vient à s’immiscer dans la qualification de ce qui est cultuel et dans son financement. Pratiquement, ceux qui veulent se séparer ne vont pas se soumettre à la surveillance du préfet. »

La Fédération Protestante de France, l’Église protestante unie de France, la Conférence des évêques de France, l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, ont introduit deux recours le 22 février 2022 devant le Conseil d’État contre les décrets d’application de la loi en lui demandant de renvoyer au Conseil constitutionnel deux Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC), moyen permettant de vérifier qu’une disposition législative ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Le Conseil d’État a transmis le 18 mai 2022 ces recours au Conseil constitutionnel qui s’est penché sur le titre II relatif au « libre exercice du culte ».

Le 22 juillet 2022, les Sages de la rue de Montpensier ont répondu aux deux questions.
Ils ont tranché : « le législateur n’a pas porté à la liberté d’association et au libre exercice des cultes une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
Plus loin : «  Les dispositions contestées, qui ne privent pas de garanties légales le libre exercice des cultes, ne méconnaissent pas le principe de laïcité », La loi est désormais validée. (La Croix, 22 juillet 2022). Et c’est une décision qui marquera l’histoire de la Laïcité.

Les Églises devront donc se soumettre aux exigences de la loi, car l’ennemi de la République est redoutable, il s’appelle l’islamisme. Mais le texte voté est plus large. Il entend mettre la République hors de portée de toutes les formes d’intégrismes religieux. D’où sa généralité et les craintes des différentes Églises.
En tout cas, cette décision de la plus haute instance juridique confirme la légitimité de la loi confortant le respect des principes de la République.

Michel Delmas
25 Juillet 2022