A propos du Québec et de l’Algérie

CANADA : A propos du Québec et de l’Algérie, la laïcité française, un pré carré ? Didier Vanhoutte

, par Didier Vanhoutte

"Le Québec s’est trouvé en rupture avec la tradition anglo-saxonne … il vient d’opter pour la laïcité." […] " l’influence de la laïcité, née en France, se retrouve ailleurs.

Ne prenons qu’un exemple, l’Algérie." […] "nombreux autres pays « musulmans », dans lesquels la situation hégémonique de la religion n’est pas si différente de la toute-puissance passée du catholicisme, et où l’avenir démocratique espéré par certains ne paraît possible qu’avec l’instauration de la laïcité." […]
« La laïcité à la française » ! C’est la moquerie que nous assènent ceux qui la méprisent au nord de nos frontières, et surtout, l’accusant d’être antireligieuse, n’en veulent pas chez eux. Elle est française, personne ailleurs n’y peut rien, qu’elle le reste ! Est-ce que cette situation ne met pas en danger un dispositif dont nous répétons à satiété qu’il devrait en réalité conditionner l’avenir même de toute démocratie ?

Bien souvent, les Français, assez centrés sur eux-mêmes et peu versés dans la pratique des langues d’ailleurs, n’y attachent guère d’importance, éprouvant même une certaine fierté en entendant cette boutade qui, pensent-ils, les rend uniques.
Ils ne s’aperçoivent alors pas que les réglementations de l’Union Européenne risquent peu à peu de valider en son sein la loi majoritaire, qui fait une place officielle aux religions, au détriment de la leur. Il est vrai cependant que les autres pays latins (Portugal, Espagne, Italie) sont familiers du mot et de l’idée, qu’ils sont nombreux à avoir acceptée.

D’où vient donc cette variable géographique ?

La situation héritée des conflits de l’époque de la Réforme dessine une Europe restée majoritairement catholique au sud, alors que les pays du nord proposent une marqueterie d’obédiences diverses.
Les différentes Églises ne cesseront de s’y observer afin d’obtenir un traitement « égal », et fuiront quelquefois vers l’Amérique du Nord – sauf, dans un premier temps, les catholiques – où elles s’installeront souvent dans des zones réservées qui deviendront rivales. Aux Etats-Unis, après la Déclaration d’Indépendance de 1776, puis au Canada anglophone, la première urgence démocratique sera de ne favoriser aucune au détriment des autres.
L’égalité religieuse s’établira entre les différentes communautés. La société ainsi élaborée sera alors inévitablement « communautariste ».

La situation française se trouve être à l’exact opposé de celle prévalant en Europe du Nord et en Amérique anglophone. La Révolution, puis la IIIe République libéreront les « citoyens » de l’emprise communautaire religieuse, et donneront à cette liberté un caractère avant tout individuel, dont le principe même sera défini par la loi de 1905. Mais la France était un pays à dominante catholique sur l’ensemble de son territoire. Le face-à-face État/Église ne pouvait, si l’on voulait assurer la liberté de conscience, qu’aboutir à ce que l’Église soit écartée de tout accès au décisionnel politique. Au fond, on pourrait appeler cela une « exclusion ». Nous préférons dire une Séparation.

Il se trouve que, dans la culture protestante et/ou anglo-saxonne, la société est dite « inclusive », c’est-à-dire que l’on part d’un point de vue quasi opposé. L’Etat est bien neutre, mais la société se structure autour des convictions qui s’y additionnent, toutes obtenant de ce fait le droit de faire prévaloir a priori tous leurs us et coutumes.

Alors, le Québec ? Ancienne province française restée marquée par la culture d’origine, de tradition très catholique il y a peu encore, le Québec s’est trouvé en rupture avec la tradition anglo-saxonne et a fait le saut inacceptable dans le reste du continent : il vient d’opter pour la laïcité. Tout s’explique pour les raisons qui viennent d’être dites.

La province a donc mis le pied dans la porte de la Fédération. On devine que le reste du Canada est vent debout contre cette décision, et réfléchit à toutes les procédures possibles pour l’empêcher. En plus grave, on retrouve un peu la situation française dans le cadre européen.
Mais l’influence de la laïcité, née en France, se retrouve ailleurs. Ne prenons qu’un exemple, l’Algérie.
Dans ce pays où tant de sang a été versé pendant la guerre d’indépendance, puis pendant la décennie noire sous les coups du FIS et des fondamentalistes musulmans, et où, soit dit en passant, la loi de 1905 n’a jamais été appliquée par la République Française, quand elle y gouvernait, et dont la constitution assure la liberté religieuse même si l’islam est religion d’Etat, des citoyens appellent la laïcité de tous leurs vœux.
Prenons-en pour preuve l’article publié le 19 mai dernier par El Watan et signé de Tarik Djerroud. Introduction : La laïcité, une chance pour l’Algérie ; titre : Chère laïcité, combien de crimes commis en ton absence ? Et tout l’article, une analyse très fine, garde ce ton.
On pourrait choisir de nombreux autres pays « musulmans », dans lesquels la situation hégémonique de la religion n’est pas si différente de la toute-puissance passée du catholicisme, et où l’avenir démocratique espéré par certains ne paraît possible qu’avec l’instauration de la laïcité.

Alors, ne sommes-nous pas conduits à penser que chez nous aussi l’avenir laïque ne peut être assuré qu’en établissant une solidarité universelle pour la promouvoir, et que la défendre ici impose de la défendre aussi là-bas ?

Didier Vanhoutte 12 juin 2019

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