Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République.

Gérard Delfau : Monsieur le Président Macron, abandonnez votre projet funeste de réviser la loi de 1905. Iriez-vous à nouveau au Collège des Bernardins ?

, par Gérard DELFAU

Iriez-vous à nouveau au Collège des Bernardins ? Pour vous accueillir, il y avait le cardinal Barbarin, récemment condamné par la justice et Mgr Ventura, nonce apostolique, sous le coup d’une plainte. Depuis, vous avez pu voir le glaçant documentaire d’Arte, Religieuses abusées ; vous avez constaté la dérive autoritaire d’Erdogan, protecteur et inspirateur du Conseil français du culte musulman, et la flambée d’antisémitisme.
Dans ces conditions, au lendemain des Européennes, allez-vous reprendre le projet concordataire de Nicolas Sarkozy ? Concéder à ces appareils religieux des prérogatives exorbitantes à la loi de 1905 et des financements publics ? Allez-vous porter atteinte à notre liberté de conscience et affaiblir l’État devant ces menaces sur la paix civile ?


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Monsieur Macron, abandonnez votre projet funeste de réviser la loi de 1905 | Marianne

Monsieur le Président de la République,

Iriez-vous à nouveau au Collège des Bernardins ?

C’était, il y a bientôt un an, le 9 avril 2018, autant dire un siècle, vous vous rendiez au Collège des Bernardins, pour y être reçu par la Conférence épiscopale des Évêques de France.
Vous y teniez des propos surprenants pour un Président de la République : à la fois d’allégeance à l’Église catholique et de repentance pour de supposées offenses que notre loi de Séparation lui aurait fait subir. Cette démarche a blessé cette très grande majorité des Français qui sont attachés à la laïcité, synonyme de liberté de conscience et de paix civile.

C’est pourquoi je vous écris.

J’en ai été personnellement meurtri, et même indigné, moi qui ai contribué à votre élection par mon vote et mes recommandations. Nous n’étions pas si nombreux. Je me suis senti floué, trahi, mais j’étais loin de me douter de l’ampleur du reniement. C’est seulement aujourd’hui que je le mesure. C’est pourquoi je vous écris. Vous vous souvenez de la cérémonie. Pour vous accueillir, il y avait Monseigneur Pontier, président de cette assemblée ; à ses côtés se tenaient le cardinal Barbarin, primat des Gaules, et Monseigneur Ventura, le nonce apostolique, c’est-à-dire, le représentant officiel du Vatican. Or, vous le savez comme moi, le cardinal Barbarin vient d’être condamné à 6 mois de prison avec sursis pour non-dénonciation de crimes de pédophilie par un prêtre, dont il était le supérieur hiérarchique. Quant à Mgr. Ventura, il vient d’être mis en examen, à la demande de la Mairie de Paris, pour « geste déplacé » sur un de ses employés. Vous me direz peut-être que l’un a fait appel, et que l’autre jouit de l’immunité diplomatique. Mais en quoi cela pourrait-il atténuer la sévérité du jugement que l’on peut porter sur la légèreté de votre démarche de l’an passé ?

Cela fait beaucoup, avouez-le.

En outre, au même moment, il y a la reconnaissance officielle par le pape du scandale des prêtres pédophiles un peu partout dans le monde. Un crime qui signe l’inhumanité de ceux qui le commettent. Enfin, comme si cela n’était pas suffisant, Arte vient de diffuser un documentaire glaçant, terrifiant, Religieuses abusées, qui démonte un système où des femmes qui ont fait vœu de chasteté, sont livrées à des prêtres, qui les violent, en toute impunité, au cœur même du territoire du Vatican et sur tous les continents, avec la complicité tacite, et parfois active, de la hiérarchie.
À coup sûr, vos conseillers vous ont alerté sur la diffusion comme une traînée de poudre de ce document, repris sous forme d’extraits par toutes sortes de canaux : presse écrite, audiovisuelle et réseaux sociaux. Cela fait beaucoup, avouez-le. Mais ce n’est pas tout. Au même moment encore, paraît en librairie Sodoma de Frédéric Martel, qui met à nu, c’est le cas de le dire, l’influence déterminante du clan homosexuel au sein de l’Église, de ses pratiques au Vatican et dans les diocèses, un comportement en contradiction flagrante avec la doctrine pontificale et l’enseignement diffusé par le clergé. Et toujours la même loi du silence, au nom de l’intérêt supérieur de l’Église.

allez-vous persister...

À relater tout cela, un dégoût me vient, et beaucoup de compassion aussi pour les authentiques croyants qui subissent ces torrents de boue. Et je me tourne vers vous, Monsieur le Président : Iriez-vous à nouveau au Collège des Bernardins ? Non, bien sûr.
Mais alors, allez-vous persister dans votre projet funeste de « réviser », c’est-à-dire d’affaiblir dangereusement, la loi de 1905, celle qui nous protège de toutes ces formes de pression et d’oppression cléricales, qu’elles soient d’origine catholique, musulmane, évangélique ou issues du judaïsme ultra-orthodoxe ? Plus concrètement, allez-vous conforter la propagande homophobe de la Manif pour tous, dont le cardinal Barbarin justement se faisait le héraut ? Ou encore, allez-vous livrer nos concitoyennes de confession ou de culture islamique à l’endoctrinement des Frères musulmans, dont le projet d’un islam politique influence directement les principales structures officielles de ce culte en France ? Il est vrai que vous aviez commencé à traiter avec elles dès votre candidature à la présidence, mais devez-vous persister ? Allez-vous concéder à ces organisations des prérogatives exorbitantes, par rapport à la laïcité, et des financements publics, contrairement à l’article 2 de la loi de 1905 ? Et, sur un autre plan, allez-vous continuer à faire cadeau de nos impôts aux clergés subventionnés des régimes dérogatoires des cultes, en Alsace et en Moselle ou en Guyane, notamment ? Allez-vous continuer à financer, grâce à l’argent du contribuable, un réseau d’écoles privées à 90% catholiques, qui font concurrence aux établissements de l’enseignement public ouvert à tous et laïque ?

Une violation de la Constitution et de notre patrimoine commun,

Pour résumer ma pensée, allez-vous reprendre, sans le dire, le projet concordataire, que n’a pu faire aboutir Nicolas Sarkozy, à une époque où la France n’avait connu ni les attentats de Mohamed Merah, ni ceux d’Amedy Coulibaly et des frères Kouachi, ni la tuerie du Bataclan et de la Promenade des Anglais à Nice, ni, dans un autre domaine, la succession de scandales qui éclaboussent actuellement l’Église catholique ou le regain de l’antisémitisme ? Persister dans ce projet de « révision » de la loi de 1905, au lendemain des Européennes, ce ne serait pas seulement une violation de la Constitution et de notre patrimoine commun, ce serait cautionner l’omerta et ouvrir la voie à l’aventure… De nombreux députés de votre majorité vous demandent de renoncer à cet égarement. Et la France toute entière aspire à sortir de cette mauvaise passe où vous l’avez imprudemment engagée en allant aux Bernardins. Le moment n’est pas venu pour l’État de baisser la garde et de donner un signe de faiblesse face aux appareils religieux, aux intégrismes, aux idéologies antirépublicaines, et à la prolifération des actes antisémites depuis deux ans.

En revanche, parlez-nous de lutte contre le chômage, d’écologie et d’avenir européen, et nous vous suivrons.

Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes sentiments respectueux.

Gérard DELFAU
Ancien sénateur
Directeur de la collection « Débats laïques », Éditions L’Harmattan
www.debatslaiques.fr
11-03-2019

Publié sur CNAL Comité National d’Action Laïque

Lettre ouverte de Gérard Delfau : « M. le Président, renoncez à votre funeste projet de révision de la loi de 1905 » – CNAL